C’est l’une des plus grosses sanctions jamais prononcées par l’Autorité de la concurrence contre des compagnies aériennes. Au total, 14,57 millions d’amendes ont été infligées à Air Caraïbes et Air Antilles, pour s’être entendues pendant plusieurs années sur les prix et l’offre de leurs réseaux interîles, entre Pointe-à-Pitre et Fort-de-France, ainsi qu’entre ces deux provenances et Saint-Martin, Sainte-Lucie et Saint-Domingue. Air Caraïbes devra payer 13 millions d’euros, la société de conseil Miles plus (Aérogestion) s’est quant à elle vu infliger une sanction de 70 000 euros pour avoir été au courant des agissements d’Air Caraïbes sans l’en dissuader ou les dénoncer.
Quant à Air Antilles, en vertu de la jurisprudence de l’Autorité de la concurrence, elle échappe à la sanction pécuniaire, étant liquidée. Toutefois, K Finance, à l’époque maison mère d’Air Antilles et propriété d’Éric Koury écope d’une amende de 1,5 million.
Dans un communiqué daté du 4 décembre, Air Caraïbes indique « prendre acte de la décision de l’Autorité de la concurrence qui est relative à des faits anciens, concernant uniquement le réseau régional antillais. Nous analysons cette décision avec nos conseils, afin d’envisager d’éventuelles suites à donner » conclut le communiqué. Simple coup de com à la fois vain et mensonger.
Car de suite, il n’y en aura point. Selon l’Autorité de la concurrence, dès que le montant de l’amende est fixé, c’est qu’il y a eu transaction. De fait, accepter la transaction pour l’entreprise c’est reconnaître sa culpabilité. La transaction est le pendant du plaider-coupable devant les tribunaux judiciaires. De source proche du dossier citée par l’AFP, la compagnie avait provisionné dans ses comptes 2023 le montant maximal associé à une sanction de l’Autorité.
Les nouveaux propriétaires de la compagnie Air Antilles ont précisé mercredi 4 décembre que « cette situation tout comme les sanctions ne concernent pas la nouvelle société Air Antilles », qui promet se concentrer « sur la satisfaction de ses clients et le désenclavement des îles ».
Le groupe Caire, raison sociale d’Air Antilles, a été partiellement repris en 2023 par une holding du groupe aéroportuaire Edeis, alliée à la collectivité de Saint-Martin, permettant de relancer les vols d’Air Antilles en juillet 2024.
L’autorité de la concurrence s’autosaisit
Selon l’autorité de la concurrence « entre février et juin 2015, puis en septembre et décembre 2016, Air Antilles et Air Caraïbes, avec le soutien d’Aérogestion ont échangé sur leurs intentions tarifaires futures et ont pris des engagements réciproques sur les conditions tarifaires des billets d’avion ». Toujours selon l’autorité de la concurrence, « entre avril 2017 et décembre 2019, les entreprises mises en cause ont participé à une troisième entente sur la fixation des prix et des conditions tarifaires », le tout dans le cadre d’un « accord de non-agression ». C’est le rapporteur lui-même de l’Autorité de la concurrence qui s’est autosaisi de l’enquête après que ses services d’instruction ont constaté que les tarifs proposés par les deux compagnies étaient les mêmes.
Le 4 novembre 2019 les services d’instructions ont mené des opérations de perquisition auprès du directeur général de Caire société qui gérait Air Antilles, et aux sièges des deux compagnies. Les enquêteurs ont constaté que les deux entreprises s’étaient entendues afin de partager les créneaux horaires. Pour voyager, le client n’avait qu’une alternative, soit l’une ou l’autre des compagnies, sur une plage horaire. Ainsi les deux compagnies ne se faisaient pas concurrence. Air Antilles et Air Caraïbes avaient également harmonisé leurs conditions tarifaires sur les hausses de prix.
Ces ententes anticoncurrentielles ont commencé en 2015 et ne se sont arrêtées en 2019 que lorsque l’Autorité de la concurrence a commencé a enquêté. Les services d’instruction de l’autorité de la concurrence ont identifié les modes opératoires des deux compagnies. Elles procédaient à des réunions, utilisaient des appels téléphoniques. Plus sophistiqué, les contrevenants ont créé une fausse adresse mail. Celle-ci était censée appartenir à un client qui ferait des réclamations ou demanderait des informations. Mais dans les pièces jointes de cette boîte mail, les compagnies échangeaient des informations.
Les clients floués
« Les pratiques anticoncurrentielles mises en place par Air Antilles et Air Caraïbes sont particulièrement graves », a jugé l’Autorité de la concurrence, en remarquant que « les habitants de ces territoires, confrontés à un coût de la vie nettement plus élevé qu’en métropole, ne disposent d’aucune alternative réellement viable à l’avion » et ont été placés « dans une position de clientèle captive » par le duopole.
« On soupçonnait ces comportements vu les tarifs exorbitants », a simplement réagi le député (Liot) Olivier Serva. « C’était quasiment la ligne la plus chère au monde (Martinique Guadeloupe) par rapport au nombre de kilomètres à parcourir », a-t-il dit à l’AFP, exprimant sa « satisfaction de voir ces contrevenants sanctionnés ». Sans plus rechercher les moyens d’agir.
Les amendes pour conséquentes qu’elles soient ne règlent pas tout. 13 millions d’euros pour le groupe Dubreuil (propriétaire d’Air Caraïbes) qui a déclaré un chiffre d’affaires consolidé de 2,7 milliards en 2022 ne représentent pas grand-chose. Les clients floués peuvent cependant se diriger vers les tribunaux civils en lançant des actions groupées. L’action en justice est ouverte aussi aux associations de consommateurs, aux entreprises, aux autorités publiques notamment aux collectivités locales au titre de la défense de leurs mandants.
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