Après les commerçants de Basse-Terre, c’est au tour du préfet de se mettre au travers du chemin du groupe Bernard Hayot. Les travaux de l’implantation d’un centre commercial à Saint-François qu’il avait entrepris sont arrêtés. Le tribunal administratif a invalidé le permis de construire que la commune avait délivré au groupe.
AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE
Le permis de construire de la surface marchande prévue dans le centre-bourg vient d’être annulé
Contradiction, anomalie et irrégularité. Le projet de la société Lunabam à Saint-François est stoppé depuis le 7 avril. Récit.
Le Tribunal administratif de Basse-Terre a, le 7 avril 2016, annulé le permis de construire d’un centre commercial délivré par la commune de Saint-François à la société Lunabam du groupe Bernard Hayot. La commune avait demandé le rejet de la requête en annulation du préfet, au motif que son action était tardive. Saint-François avait fait valoir l’absence d’un recours gracieux notifié au bénéficiaire du permis dans un délai de quinze jours prévu par l’article R-600-1 du code de l’urbanisme. La société Lunabam avait évoqué pour l’essentiel le même argument juridique fondé sur le caractère forclos de l’action du préfet. Il ressort des pièces versées au débat, que le préfet avait adressé le 20 mai 2015 un recours gracieux, au maire de Saint-François. Copie de ce recours avait été envoyée le même jour à Leflaive Thibault, personne indiquée par le groupe Bernard Hayot pour réceptionner le courrier, avec comme adresse Acajou Lamentin. Le pli était retourné à la préfecture avec la mention » défaut d’adressage « .
Le tribunal administratif a considéré que l’adresse incomplète donnée à l’administration a créé une ambiguïté dans la demande de permis de construire de la société. Le délai de recours contentieux dont disposait le préfet avait été prorogé : le second déféré du 3 août n’était pas tardif. Le tribunal administratif a annulé le permis de construire délivré à la société en raison de contradiction, anomalie et irrégularité dont Le Courrier de Guadeloupe a pu prendre connaissance.
■ Usage non conforme au plan d’occupation des sols
La juridiction administrative a été saisie par le préfet de Guadeloupe au motif que le permis de construire n° PC 971 125 1 SF 181 délivré le 11 mars 2015 au groupe Hayot était » en contradiction avec les dispositions générales du règlement du plan d’occupation des sols de la commune. (…) Cette zone est réservée uniquement à des opérations d’habitat de forme résidentielle » poursuit la requête du préfet. La parcelle concernée est située au lieu-dit Pradel, au rond-point Luther King, à côté du Leader Price à Saint-François.
■ implantation interdite par la commission d’aménagement commercial
Autre anomalie relevée par le préfet : » La surface de plancher portée sur le permis est 2 545 m2 alors que celle pour laquelle la commission départementale d’aménagement commerciale (CDAC) s’était favorablement prononcée est de 2 049 m2 « . De surcroît fait remarquer le préfet dans sa requête, » la commission nationale d’aménagement commercial (CNAC) avait depuis, rendu un avis défavorable, infirmant la décision de la CDAC « . Saint-François ne pouvait délivrer un permis sans tenir compte de l’avis de cette dernière instance.
■ permis signé par un adjoint » incompétent «
Le jugement du tribunal de Basse-Terre estime aussi que le permis signé par le Teddy Mary, 1er adjoint au maire est entaché d’irrégularité ayant été pris par une autorité incompétente. L’acte querellé porte la mention « pour le maire empêché » avec la signature du 1er adjoint, » alors que d’une part, la commune ne démontre pas en quoi le maire était empêché, et que d’autre part, s’il existe bien un arrêté portant délégation du maire à Teddy Mary, celui-ci n’a pas fait l’objet d’un affichage régulier en mairie, ni d’une publication régulière « .
Qui est Lunabam ?
Selon les statuts mis à jour suite à l’assemblée générale extraordinaire du 15 novembre 2013 qui a vu le capital social passé de 100 000 euros à 1 million d’euros, la société Lunabam a son siège social établi » chez Destrellan SAS au centre commercial Destrellan 97122 Baie-Mahault « . Immatriculée en Guadeloupe le 7 novembre 2005, Bernard Hayot en a été le premier gérant. Fondateur et président du groupe éponyme (GBH), l’homme est avec sa famille 210e fortune de France, à la tête d’une fortune évaluée à 300 millions d’euros en 2015 selon le classement établi par le site Challenges.fr. Stéphane Hayot, son fils et directeur général du groupe en charge du pôle grande distribution, lui a succédé à la gérance de Lunabam depuis 2012. La SARL Lunabam a pour objet en France et à l’étranger, » toutes opérations industrielles, commerciales, mobilières, immobilières et financières. »
REDACTION
Laurent Bernier : » il y a de la place pour tout le monde «
Édile d’une commune balnéaire dont il annonce le doublement de la population d’ici 25 ans, Laurent Bernier se montre solidaire de Lunabam. Ni la filiale du groupe Bernard Hayot qui souhaite s’étendre sur son territoire, ni la mairie qui dirige, n’ont à ses yeux commis d’erreur.
Le maire de Saint-François joint par téléphone lundi 25 avril annonce qu’il va se joindre à l’appel de la décision du tribunal administratif. Élu à la tête de la commune en 2008, et membre du parti Les Républicains, Laurent Bernier se pose en défenseur de la liberté d’entreprendre et fustige les règles administratives contraignantes.
Le Courrier de Guadeloupe : Le tribunal administratif de Basse-Terre estime que le premier adjoint qui a signé le permis de construire délivré par la commune de Saint-François était incompétent en la matière, qu’en dîtes vous ?
Laurent Bernier : Le tribunal a annulé le permis de construire. C’est de sa compétence. L’État dit que le permis n’est pas valable. C’est son avis. Je considère que la commune a délivré un permis de construire tout-à-fait conforme aux règles en vigueur. Je m’en tiens là. Je ne m’en mêle pas. Ce sont des histoires entre commerçants. Il y aura un recours du groupe qui a vu son permis de construire annulé. La commune est équidistante.
Pas tant que cela puisque vous allez vous joindre à l’appel
Simplement parce que je pense que le permis de construire délivré par la commune est valable.
Et puis le terrain était destiné à des constructions d’habitation…
Ce n’est pas exactement cela. Ce n’est qu’une première décision nous verrons bien en appel.
Vous dîtes que c’est une affaire entre commerçants mais quid des commerces alentours, dont un supermarché, menacés de disparaître ?
Personne ne disparaîtra. Leader Price est un discounter. Il travaillera encore sur les prix, le marketing. Les bons professionnels s’adaptent toujours. Chacun a son business plan. Leader Price s’adaptera. Saint-François est une commune touristique dynamique. Nous disposons de 15 000 lits. Aujourd’hui nous sommes 15 000 habitants. Sans compter les touristes. Dans 25 ans nous serons entre 22 000 et 30 000 habitants. Il y a de place pour tout le monde.
REPORTAGE
» Pendant deux mois les bulldozers ont chanté à tue-tête «
Nuisance, indifférence, et indignation. Le chantier à l’arrêt contraste avec l’animation du bourg de la commune balnéaire de Saint-François.
Mardi 26 avril. 17 h 30. Quartier lieu-dit Pradel à Saint-François. Non loin du rond-point où se dresse la statue de Martin Luther King, une station de bus accueille dans un flot continu, des autocars qui ramènent de l’école des adolescents. Une demi-douzaine de garçons s’attardent dans la station et hèlent tout fort leurs messages à d’autres camarades qui s’éloignent. Juste en face, un immense terrain clôturé d’un grillage doublé d’un tissu vert. Il n’y a personne. À l’entrée, une porte métallique à double battants cadenacés en interdit l’accès. Le volume de tuff déjà étalé et les fondations qui ont commencé à être creusées indiquent qu’il s’agit là d’un vrai chantier. Aucun doute non plus sur la nature des travaux qui y sont entrepris. Les propriétaires des lieux avaient enclenché la phase terrassement, indispensable à l’implantation de bâtiments. Aucun engin ou outil de travaux publics ne traîne. Pas de permis de construire affiché non plus. Tous les 20 mètres, le long du Grillage, un panneau » chantier interdit » est apposé. Juste à côté, un supermarché, son parking. Une quarantaine de voitures y sont stationnées. Des clients entrent et sortent du magasin. » À cette heure-là, il y a une petite affluence dans le supermarché » explique Juliano, un carrossier qui habite la maison juste derrière le chantier. Il se dit furieux. Pas du projet en lui-même, dont il est parfaitement informé. Juliano s’en moque. Il explique : « Qu’ils se débrouillent entre commerçants, ils sont tous du même côté et se partagent le gâteau. En revanche, je ne veux ni de l’eau ni de la boue. J’ai filmé la dernière inondation. J’ai appelé le maire pour cela. Il est au courant. » Devant la boulangerie qui jouxte le supermarché, Stéphane, caquette enfoncée jusqu’aux oreilles évoque la poussière soulevée par les travaux. » C’était insupportable jusqu’à ce qu’ils aient entouré le chantier du tissu vert. Je peux vous dire que pendant deux mois les bulldozers ont chanté à tue-tête » explique-t-il.
30 à 40 % de chiffre d’affaires perdus
Le discours de Stéphane est plus tranché par rapport à l’implantation d’un nouveau centre commercial : » C’est une idiotie sans nom. N’importe qui peut comprendre que l’ouverture de ce centre, signifie la mort programmée de cette petite surface. Vous croyez que ceux qui ont donné le permis de construire ne le savent pas ? » interroge-t-il. Sylviane, psychologue à la retraite dit avoir eu un projet sur ce terrain. Avec d’autres partenaires elle avait rêvé installer là, une école spécialisée pour handicapés. » Quand j’ai entamé les démarches en mairie, un employé m’a fait comprendre que je n’avais pas le bras assez long. Le groupe Hayot était déjà sur le coup. S’il faut cocher une case, je coche non. » Une dame, la cinquantaine alerte, s’apprête à renchérir et s’enfuit à toute allure dès que le projet de centre commercial est évoqué : » Je ne sais rien. Je ne veux rien savoir. Je ne suis pas là. » À 800 mètres, un asiatique tient boutique. L’homme est définitivement résigné : » Nous perdrons entre 30 et 40 % de notre chiffre d’affaires. Heureusement, nous ouvrons plus tôt et nous fermons plus tard. Nous lutterons avec nos armes « .
Inflation d’enseignes de la grande distribution qui se livrent une concurrence féroce
Plusieurs enseignes se disputent le marché de la grande distribution qui est appelé à stagner, compte-tenu des perspectives démographiques à la baisse de la Guadeloupe. Au 1er janvier 2015, il y avait selon l’INSEE, 410 335 personnes dans le département. Les projections réalisées indiquent qu’en 2030, la population se situera au même niveau qu’en 2015. Les chiffres indiquent d’ores et déjà une concurrence âpre dans le secteur de la grande distribution. Dans la catégorie des hypermarchés le leader est sans conteste le groupe Hayot avec Destrellan à Baie-Mahault, devant le groupe Despointes qui détient Milénis aux Abymes. Viennent ensuite le groupe Ho Hio Hen avec Géant Casino à Bas-du-Fort au Gosier puis le groupe Nouy avec Hyper Casino Desmarais à Basse-Terre. Au regard du nombre de magasins implantés et de la surface commerciale occupée, c’est le groupe Ho Hio Hen qui occupe la première place, avec Géant Casino à Gosier, et ses 32 Ecomax, répartis sur tout le territoire. Le groupe Loret arrive second avec Carrefour Milénis, Cadi surgelé, Sofriber, Carrefour Market et les Huit à Huit. Dans ce classement, le groupe Hayot n’apparaît qu’à la troisième place avec Destrellan, et Soprix. Vient ensuite le groupe Nouy qui outre Casino Desmarais à Basse-Terre possède aussi, les hyper Casino. Au même niveau, se trouve le groupe Barbotteau avec les enseignes Supermarché Casino, Petit Casino. Le groupe Parfait possède quant à lui, deux super U. L’un à Pliane Gosier, l’autre à Sainte-Rose. Enfin Clairville possède plusieurs magasins Super U situés à Colin à Petit-Bourg, à Grand- Camp Abymes, à Saint-Jules Pointe-à-Pitre, celui situé boulevard Chanzy sera déplacé dans les nouveaux locaux réalisés en lieu et place de l’ex-stade de Bergevin. Enfin Raymond Luce possède 4 super U et deux U express. Et les projets continuent de germer.
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