Maryse Coppet est avocate spécialisée en droit européen, lobbyiste à Bruxelles, experte auprès de la Commission européenne sur le développement territorial et ambassadrice du pacte climatique de l’Union européenne. Elle a été chargée par la Commission européenne en 2023 avec Joël Destom membre du Comité économique social et environnemental de rédiger un rapport sur les développements des régions ultrapériphériques européennes.
Maryse Coppet a créé aussi le Mouvement Outre-mer. Une association de défense des citoyens des départements d’Outre-mer, laquelle association a porté plainte auprès de la Commission européenne contre l’octroi de mer et milite ardemment pour sa suppression.
Maryse Coppet estime que l’octroi de mer est non seulement le principal facteur du renchérissement du coût de la vie, mais en tant que principal outil du pacte colonial, il est un frein à tout développement économique en Outre-mer. Elle s’en explique dans le cadre d’un entretien accordé le 11 mars au Courrier de Guadeloupe dans la contexte de la parution du rapport d’évaluation de la Cour des comptes paru en mars 2024 et qui préconise la réforme de l’octroi de mer.
Le Courrier de Guadeloupe : Pour cerner l’octroi de mer vous évoquez le pacte colonial, vous remontez à Colbert. C’est très loin et les choses ont tout de même évolué. Pouvez-vous préciser votre pensée ?
Maryse Coppet : Globalement les choses ont très peu évolué. Nous sommes toujours dans le même cadre. C’est toujours le même principe qui est appliqué, et c’est la même philosophie politique qui rythme l’économie des outre-mer. L’octroi de mer est un régime dérogatoire qui n’existe nulle part en Europe. C’est une taxe qui a été créée lors de la mise en place du pacte colonial qui en effet remonte à Colbert. Il s’agissait de faire des colonies une source de revenus au seul profit de la France, que l’on continue à nommer métropole. Le nom est resté. Même si les députés domiens ont essayé de s’en débarrasser.
Le pacte colonial et son pendant l’octroi de mer, s’assurent que la colonie ne doit jamais produire des objets manufacturés, sinon de la matière première qui doit être livrée à la métropole : coton puis sucre. Le pacte colonial est une notion juridique et l’octroi de mer est un instrument du pacte colonial. Il ne faut pas s’étonner qu’aujourd’hui encore tous les produits manufacturés ou presque que nous achetons dans les magasins viennent de France.
« Mais au vrai les collectivités n’ont pas besoin d’argent. Elles en ont. En revanche les collectivités ont besoin d’ingénierie. Parce qu’elles ne savent pas faire grand-chose. »
Maryse Coppet
La Cour des comptes dans son rapport de mars 2024 d’évaluation des politiques publiques consacrées à l’octroi de mer préconise de le réformer en profondeur. Mais pourquoi maintenant ?
Maryse Coppet : Parce que certaines exonérations accordées à de grandes entreprises grâce à un régime dérogatoire demandé par la France à la Commission européenne font tache. Aujourd’hui, la Commission dit à la France vous devez nous apporter la preuve que ces dérogations substantielles contribuent à développer l’économe locale. Or, c’est tout le contraire. Nous sommes dans une société d’oligopoles quand ce ne sont pas carrément des monopoles. Et c’est l’octroi de mer qui permet cette situation.
Des entreprises en situation de monopole ou d’oligopole sont créées par branches d’activité. Boissons, produits laitiers, électricité, riz, café etc. Les privilégiés sont exonérés d’octroi de mer. C’est une commission réunie par la Région qui décide qui est exonéré ou pas. Sans règle, sans principe. C’est un cénacle où les plus influents font la loi. L’astuce consiste à dire je suis producteur local donc je demande l’exonération de la matière première que j’importe et le tour est joué.
Ce système est déjà une énorme entorse à la concurrence. Mais le plus grave c’est qu’il contribue à renchérir les prix. L’oligopole qui bénéficie de l’exonération ne va pas pour autant fixer ses prix en tenant compte de l’avantage qui lui a été octroyé. Non, il va aligner ses prix sur les concurrents importateurs qui eux sont obligés d’avoir des prix plus élevés puisqu’ils n’ont pas bénéficié d’exonération.
Le rapport de la Cour des comptes est plus nuancé…
Maryse Coppet : La Cour des comptes va déjà loin. Mais il ne faut pas oublier que c’est une institution française. Le plus choquant dans l’histoire c’est que ce sont les produits de première nécessité qui sont le plus impactés. Le riz, dont le prix est renchéri grâce à ce système, est la denrée la plus consommée en Guadeloupe. Ce sont les gens modestes qui pâtissent le plus d’un système qui crée une spirale de paupérisation. Si nous voulons sortir de cet engrenage il ne faut pas seulement réformer l’octroi de mer. Il faut l’abolir.
Les élus locaux défendent un outil fiscal indispensable à la bonne marche des collectivités. Ils se trompent ?
Maryse Coppet : Soyons clairs. L’octroi de mer n’est pas seulement une taxe injuste qui appauvrit les plus démunis. Il n’engendre pas seulement une concurrence déloyale. L’octroi de mer est aussi un outil de corruption. Qui défend l’octroi de mer ? Les industriels en situation de monopole. Des élus qui défendent des entreprises en situation de monopole, cela choque la Commission européenne. On devrait plutôt s’attendre à ce que les élus défendent les intérêts de la population.

Mais les élus défendent les recettes des collectivités locales. Plus de 600 millions rien que pour la Guadeloupe, ce n’est pas rien ?
Maryse Coppet : C’est vrai l’octroi de mer génère des recettes au profit des collectivités. Mais les élus en font quoi ? Ils s’offrent des billets aller-retour, en première classe de surcroît, à destination de Paris. Cela fait 350 ans que l’octroi de mer existe et l’économie de la Guadeloupe n’a jamais décollé. Ni celle d’aucune collectivité d’Outre-mer d’ailleurs.
La grande majorité des collectivités est en déficit alors qu’elles disposent de 20 % de dotation globale supplémentaire, plus l’octroi de mer, plus les taxes sur les produits pétroliers, plus les fonds européens quand elles savent les mobiliser. Les départements d’Outre-mer ont des ressources dont ne dispose aucune collectivité à taille égale dans l’Hexagone.
Si l’octroi de mer est supprimé il y aura quand même un grand trou dans les caisses des collectivités…
Maryse Coppet : Je pense qu’il y aura surtout un arrêt aux embauches pléthoriques de gens incompétents. L’argent de l’octroi de mer sert en grande partie à cela et nourrit la cherté de la vie et cela tire la population vers le bas. La Cour des comptes dit même que cette utilisation où l’argent généré par l’octroi de mer sert à embaucher des agents incompétents est l’une des raisons pour lesquelles les populations d’Outre-mer n’ont pas accès à un service public et à une administration efficiente.
Les élus qui embauchent des gens à ne rien faire, ou qui ne savent rien faire, devraient les payer sur leurs propres deniers ! Je pense qu’il faut absolument supprimer l’octroi de mer. Les citoyens devraient se mobiliser pour obtenir cette suppression. Lorsque les élus locaux auront à cœur de travailler pour l’intérêt général cela se saura.
La Commission européenne a mis en place un laboratoire de développement durable au profit des Outre-mer. J’en ai été chargée. J’avais à ma disposition un expert de la commission pour les financements. Le projet a été refusé par la Région Guadeloupe. La commission a eu ainsi la preuve que les élus locaux ne veulent pas du développement de l’économie de la Guadeloupe.
Et puis les élus pleurent par avance la perte de l’octroi de mer. Mais au vrai les collectivités n’ont pas besoin d’argent. Elles en ont. En revanche les collectivités ont besoin d’ingénierie. Parce qu’elles ne savent pas faire grand-chose.
Supposons que l’octroi de mer soit supprimé, qu’est-ce qui va changer ?
Maryse Coppet : Ce sera l’ouverture de la concurrence, la baisse des prix. Pour le grand bien des petites gens. On entrera dans une véritable économie de marché et nous sortirons enfin du pacte colonial et entrerons dans le concert économique mondial.

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