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Les raisons de commémorer

Faut-il commémorer l’abolition de l’esclavage et pourquoi ? La question n’est pas superflue. Surtout si l’on consent l’effort d’appréhender toutes les idées sous-jacentes que charrie l’expression commémorer. Y compris celles qui se veulent délibérément négatives. Quitte ensuite à restituer au mot, sa véritable signification et son sens profond. L’exercice pourra laisser de marbre les pourfendeurs de toutes les commémorations, qu’elles se réfèrent à l’esclavage, à la shoah ou au massacre des Arméniens. Histoire de ne pas citer que les deux plus connues et éviter ainsi toute surenchère inutile. Ces anti-commémorations, tous événements confondus, pourront toujours évoquer une sorte d’apathie qu’ils voudraient neutres. À tort. Ils sont dans l’intolérance, car c’est une façon de nier la mémoire douloureuse de l’autre. Et c’est déjà sacrilège car tout homme participe à l’essence humaine. La posture n’est pas anodine. Les esclavagistes ont d’abord commencé par refuser toute humanité à l’esclave. Ils pouvaient ainsi justifier le sort qu’ils lui faisaient.

Nous ne sommes pas tous égaux devant n’importe quelle forme de commémoration. Les Antillais, les noirs américains, ceux du continent sud-américain sont forcément les plus sensibles à la mémoire de l’esclavage. Une grande proportion d’Européens ne se sent nullement concernée par le phénomène. C’est comme si cette histoire n’est pas la leur. Et pourtant, il y a bien eu des esclaves et des esclavagistes. Il ne s’agit pas ici d’extrémistes ni même d’idéologues qui combattent le fameux concept de repentance. Ceux-là ont déjà franchi un palier vers le négationnisme et ont en tout cas un pied dans le déni. Il s’agit de gens sans histoire qui disent n’avoir rien contre quiconque. Simplement ils ne veulent pas entendre nos histoires d’esclaves. D’ailleurs, ils n’en sont en rien responsables. Fermez le ban.

Or commémorer c’est d’abord se souvenir. Il ne s’agit pas de se délecter. Personne ne se gratifie de sévices et de conditions inhumaines de vie. Il ne s’agit pas non plus de se remémorer au sens de se rappeler telle ou telle anecdote. Ici le souvenir prend exactement le sens contraire de l’oubli. Il s’agit de se souvenir. Seule manière de ne pas oublier. Se souvenir avec gravité.

Commémorer c’est aussi se recueillir, méditer, et penser à tous ceux qui ont souffert le martyre avant d’être délivrés du joug de l’esclavage. Selon les écritures qui ont souvent un caractère solennel, le christ a dit : « faites cela en mémoire de moi ». Ceux qui commémorent doivent le faire avec solennité. En mémoire de ceux qui ont connu l’enfer sur terre.

Commémorer c’est dépasser aussi sa singularité, tendre vers l’universel et communier à l’essence fondamentale de l’humanité. Exposé de cette manière, commémorer devrait pouvoir réunir et apaiser toutes les âmes, toutes les consciences. De quelque bord qu’on soit. Ainsi, commémorer ne devrait plus déranger l’autre et plutôt l’inviter à commémorer aussi.

La Guadeloupe semble plutôt apaisée aujourd’hui, en ce qui concerne la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Les uns et les autres ne se disputent plus telle date par rapport à une autre. Les manifestations qui commémorent la fin de l’esclavage sont de plus en plus légion. Chacun choisit son événement, son style, son recueillement. Et tout le monde évoque cette période de commémoration avec sérénité. Dans le même temps, les antis-commémoration ne se font plus entendre. La société guadeloupéenne, de ce point de vue a mûri. Cette année, les manifestations ont davantage pris des allures de pèlerinage. Un peu comme s’il était de bon ton de se mettre en cette occasion, physiquement à l’épreuve. Marches symboliques, randonnées nocturnes semblent avoir pris le pas sur les discours et autres colloques entendus. Personne ne s’en plaint. Il n’est pas mauvais en certaines occasions que ce soit le corps qui fortifie l’esprit.

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