Rodrigue Solitude, directeur général par intérim du Comité du Tourisme des Îles de Guadeloupe, le 30 avril 2024 dans les nouveaux bureaux de l'Immeuble Antharès à Dothémare, lors de la présentation de l'opération de promotion touristique intrainsulaire "Bonjour Les Îles de Guadeloupe".

La chambre régionale des comptes (CRC) des Antilles et de la Guyane a publié le 30 septembre son avis sur le compte administratif 2023 du comité de tourisme des îles de Guadeloupe (CTIG). La CRC a constaté un excédent de 822 004,02 euros après vérification de la sincérité des restes à réaliser. La juridiction financière annonce également que le budget primitif 2024 voté par le CTIG est en équilibre réel.

Or, dans son avis daté du 29 novembre 2023, la CRC fixait le déficit de l’année 2022 du CTIG à 3 191 664,34 euros. La juridiction financière indiquait que « les comptes étaient insincères et masquaient la situation réelle du CTIG ». La CRC se faisait encore plus précise : « Les pièces comptables étaient non fiables, qu’il n’y avait pas de comptabilité d’engagement ce qui a pour conséquence un report irrégulier sur l’année suivante de dépenses importantes ». Et La CRC de conclure que « la gestion du CTIG reposait sur de la cavalerie ».

Dette d’1 million à Jet Blue

La CRC indique aujourd’hui que ce redressement rapide et spectaculaire est dû à une augmentation substantielle de la subvention de la Région de 2,7 millions et de celle du Département de 300 000 euros. Les deux collectivités ont injecté 3 millions d’argent public pour combler le déficit d’un établissement qui présentait il y a dix mois un déficit d’une somme à peu près équivalente.

La Chambre explique aussi que « l’absence de versement en 2024 d’une contribution à la société Jet Blue qui a exploité entre 2020 et 2024 un service aérien saisonnier de novembre à avril entre l’aéroport international John Kennedy (« JFK ») et l’aéroport Guadeloupe Pôle Caraïbes (« PTP ») a entraîné une forte réduction des dépenses ».

Un flou subsiste cependant quant à cette dette chiffrée à 1 095 254 euros par la CRC en novembre 2023. D’abord, la CRC n’indique pas que la dette est éteinte. De surcroît, dire fin septembre 2024, qu’il y a « absence de versement à Jet Blue en 2024 » est pour le moins abusif. L’année 2024 doit voir écouler encore trois mois avant d’être à son terme.

Ce n’est pas tout. La CRC avait relevé en novembre 2023 des salaires trop élevés en ces termes : « Les 32 salariés en contrat à durée indéterminée sont surpayés. Le salaire moyen d’un agent au CTIG s’élève à 3 200 euros. Le salaire brut de certains est supérieur de 56 % voire 85 % pour l’un d’entre eux au salaire de base prévu pour son échelon ». Et les magistrats financiers de rajouter à l’époque que « le montant très élevé de la masse salariale s’explique par un ensemble d’avantages irréguliers qui vont bien au-delà de ce qui est prévu par la réglementation ou les conventions applicables ».

La Chambre préconisait la suppression de 11 postes. Le syndicat Suc-Solidaire sous la signature de son secrétaire général, Jean-Marc Angèle, s’est fendu le 1er octobre d’un long écrit dans lequel il affirme que « plusieurs agents en situation de placardisation ont pu être réintégrés dans leurs missions permettant de mettre à profit leurs compétences […] tout en préservant les emplois ». Sur le sujet, à savoir la suppression ou non des 11 postes de travail, la CRC ne souffle pas mot. Selon les informations du Courrier de Guadeloupe, seuls deux salariés ont été licenciés : le directeur des ressources humaines et un chargé de communication.

L’écrit de Jean-Marc Angèle soutient que les salariés ont renoncé à certains avantages. Ont-ils accepté que leurs sursalaires soient diminués ? Ont-ils renoncé à leurs primes et à leur billet d’avion gratuit ? Aucune précision ni dans l’écrit du syndicaliste Suc Solidaires, ni dans l’avis de la CRC.

Un loyer de 300 000 euros

De même, les magistrats financiers en novembre 2023, avaient relevé que le CTIG avait conclu le 10 novembre 2022 un bail pour occuper l’immeuble Antares à Dothémare Abymes pour la coquette somme de 300 000 euros l’an. Soit un loyer de 25 000 euros par mois pour 760 m2, très au-dessus des prix constatés aujourd’hui sur le marché. La CRC considérait alors que « le loyer était trop onéreux et surdimensionné pour les besoins de l’établissement ».

La CRC dans ses préconisations avait indiqué la résiliation de ce bail. Or, le bail a été confirmé. Le CTIG a déménagé ses bureaux le 28 février dernier à l’immeuble Antarès à Dothémare. Le dernier conseil d’administration du CTIG s’est déroulé le 13 septembre à son nouveau siège à Dothémare. Le CTIG devra donc honorer le coût de son nouveau siège. L’immeuble de Pointe-à-Pitre est maintenu ouvert et dédié à l’accueil des visiteurs.

Sur les dépenses occasionnées par le nouveau loyer du CTIG, dans son avis du 30 septembre, la CRC ne fait pas de commentaires. Les magistrats financiers se contentent d’indiquer que « l’augmentation des subventions d’exploitation conjuguée à la limitation des dépenses d’exploitation ont constitué des mesures suffisantes pour rétablir l’équilibre des comptes ».

De quelles dépenses s’agit-il ? Aucune indication. En tout cas pas celles qu’avait préconisées la CRC elle-même, si ce n’est la dette à l’égard de Jet Blue pour laquelle le doute subsiste. Question : la Région et le Département outre la dotation habituelle qu’ils versent au CTIG, vont-ils injecter 3 millions d’euros dans les comptes du CTIG, chaque fois que ses comptes présenteront un trou béant ?

Rodrigue Solitude, un intérimaire qui dure

Par ailleurs, l’écrit syndicaliste qui défend peu les intérêts des salariés mais beaucoup ceux d’un certain « pouvoir » soulève un autre problème. Il profère des menaces à peine voilées à l’égard de certains membres du conseil d’administration. « À celles et ceux qui au sein du conseil d’administration envisagent sans ce pouvoir, un changement de direction, nous tenons à rappeler que les résultats obtenus ne sont pas simplement des chiffres mais bien le fruit d’une vision et d’une stratégie claire en matière de promotion de la destination et de gestion managériale », tance Jean-Marc Angèle.

Qui le signataire de l’écrit syndical veut-il protéger ? La réponse est suggérée dans le message d’un administrateur du CTIG que Le Courrier de Guadeloupe a pu consulter. Ce message est adressé aux autres membres du conseil d’administration. L’auteur estime que « l’intérim prolongé du directeur général adjoint au poste de directeur général sans publication du poste malgré notre demande, soulève des questions sur la transparence et la bonne gestion de notre structure ».

Le poste de directeur du CTIG aurait-il été pourvu de manière informelle ? Aucune suite au signalement de cette dérive administrative dans la procédure de recrutement n’a à ce jour été donnée. Selon les informations du Courrier de Guadeloupe, aucune procédure de recrutement n’est initiée par l’établissement public à caractère industriel et commercial. Or au-delà de 6 mois sans publication du poste et sans perspective claire de recrutement ou de nomination, les craintes de favoritisme dans l’attribution de cet emploi public s’intensifient.

Le directeur général par intérim du CTIG est Rodrigue Solitude. Ce dernier, fort d’une prime d’intérim de 1 500 euros net par mois, a assuré un premier intérim de la direction générale du CTIG après le départ de l’ancien directeur général Willy Rosier, le 20 avril 2022, jusqu’à la nomination à ce poste de Naomie Pétrine en novembre 2022. Le 31 décembre 2023 celle-ci démissionne, Rodrigue Solitude redevient directeur général par intérim.

Ancien chef de cabinet du président de Région Ary Chalus, Rodrigue Solitude est par ailleurs soupçonné de prise illégale d’intérêt par chargé de mission de service public dans une affaire dont il a assuré l’administration. Il doit comparaître le 14 octobre prochain pour être jugé de ces faits, devant le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre.

Il s’agit de l’affaire Respire plus. Société dont l’objet était la fabrication de masques au début de la pandémie covid. Respire plus, avec qui Rodrigue Solitude, présumé innocent, aurait eu des liens, avait bénéficié d’une subvention de 450 000 euros de la part de la Région.

Dans son message à ses collègues du conseil d’administration, l’administrateur se plaint que le conseil d’administration soit écarté des décisions prises par le CTIG : « Je suis préoccupée par le fait que le CA semble de plus en plus écarté des décisions stratégiques, des actions et partenariat bien que pertinents sont mis en œuvre sans que nous soyons informés autrement que par communiqués », déplore l’administrateur. Voilà là une tout autre vision de la gestion idyllique du CTIG décrite par Suc Solidaire et confortée par la CRC.

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