L’État réduira ses dépenses de 100 millions d’euros l’an prochain, indique un document annexé au projet de loi de finances 2022. Un document toutefois pas fiable, car incomplet, selon le ministère des Outre-mer.
Le progrès méritait d’être souligné : arrivé très tardivement les années précédentes, le jaune budgétaire des Outre-mer, ce fameux document de politique transversale, appelé DPT dans le jargon des finances publiques, qui détaille par mission et par territoire l’ensemble des dépenses des différents ministères dans les Outre-mer, était cette année en ligne sur le site du ministère de l’Économie dès le 14 octobre. Les parlementaires ultramarins désireux de se pencher sur les sommes dépensées par l’État dans leurs territoires respectifs, pour pouvoir discuter dans le détail du projet de loi de finances, auront donc pu le faire. En principe. Car, sachant que les ministères savent faire briller l’action du gouvernement… et enfouir ce qui reluit moins, il faut pour cela plonger dans 481 pages plutôt arides. Et ne pas découvrir au final… que le document mis en ligne est incomplet. Donc, en pratique, inutile !
Mais comment y voir clair? Premier écueil, distinguer crédits de paiement (CP), l’argent qui sera décaissé par l’État dans l’année qui vient, et autorisations d’engagement (AE), qui reflètent les dépenses engagées par l’État. Lesquelles peuvent s’étaler sur plusieurs années… mais aussi, pour de nombreux motifs, être rognées.
Quatre grandes données ressortent vite. Un, les dépenses de l’État dans l’ensemble des outre-mer, Guadeloupe, Martinique, Réunion, Guyane, Mayotte, Polynésie, etc. Dans ce projet de loi de finances pour 2022, elles sont de 20,7 milliards d’euros en CP. En baisse de 180 millions d’euros, puisqu’elles étaient de 20,9 milliards en 2021. Elles baissent aussi de 80 millions d’euros en AE à 19,01 milliards d’euros, contre 19,85 en 2021. Une baisse attribuée par le ministère des Outre-mer à un début de retour à la normale l’an prochain. » On sort progressivement du quoiqu’il en coûte « , explique-t-on rue Oudinot. Ce qui se traduit par la baisse dans tous les Outre-mer, des aides exceptionnelles engagées par l’État pour soutenir l’économie et les ménages impactés par la gestion de crise covid.
Deux, il faut ajouter à cet argent vraiment déboursé les dépenses fiscales de l’État, c’est-à-dire ses baisses de recettes liées aux réductions d’impôts accordées, dans le même temps, dans les territoires. Leur chiffrage est plus incertain, puisqu’il s’agit de sommes estimées par l’État, qu’il aurait en théorie dû percevoir si ces impôts étaient restés inchangés. L’État les évalue pour l’an prochain à 5,95 milliards d’euros pour l’ensemble des Outre-mer, contre 5,7 milliards en 2021. Soit une baisse des recettes sur l’ensemble des Outre-mer de 250 millions d’euros. Avec cette différence que ce sont surtout les entreprises et les ménages les plus aisés qui en bénéficieront.
Trois, sur la vingtaine de milliards d’euros des crédits de l’État évoqués ci-dessus, la part gérée en direct par le ministère des Outre-mer dans sa mission Outre-mer n’en représente qu’un gros dixième. Elle sera de 2,46 milliards d’euros en CP en 2022, en hausse de 30 millions d’euros (+ 1,25%), par rapport aux 2,436 milliards ouverts en 2021. Les AE baisseront de 70 millions d’euros environ (à 2,63 milliards d’euros contre 2,7 en 2021). Sur ces quelques 2,4 milliards communs à l’ensemble des Outre-mer, les fonds Emploi Outre-mer d’un montant de 1,8 milliard environ, vont pour l’essentiel (1,5 milliard d’euros) à des soutiens aux entreprises. Les compensations d’exonérations de charges sont reversées par l’État à la sécurité sociale. Les fonds Conditions de vie Outre-mer, augmentent de 91 millions d’euros à 695 millions, et recouvrent pour un tiers des crédits au logement, pour un autre des aides aux collectivités locales. C’est donc sur des montants assez limités – 69 millions d’euros pour la Guadeloupe en CP en 2022, en hausse de 6 millions – que porteront, dans les jours qui viennent au Parlement, les débats entre le gouvernement et les élus ultramarins.
Car les députés des Outre-mer en général et guadeloupéens en particulier ne participent que rarement aux discussions des crédits affectés par les autres ministères dans leurs territoires. Sur la vingtaine de milliards dépensés chaque année par l’État dans l’ensemble des Outre-mer, quelle est la part de la Guadeloupe ? C’est un quatrième nombre à retenir : selon la dernière ligne du DPT, elle sera de 2,94 milliards d’euros en CP en 2022. Un montant en baisse de 100 millions d’euros par rapport aux 3,04 milliards d’euros de 2021. Cette baisse sera plus forte en AE (à 2,62 milliards d’euros en 2022 contre 2,80 en 2021), soit 180 millions de moins (- 6,4 %).
Comment se répartissent ces 2,94 milliards d’euros ? Et où l’État veut-il réduire ses dépenses de 100 millions d’euros ? Par ordre décroissant, 799 millions vont à l’éducation et aux enseignants. Ce montant est en hausse de 30 millions l’an prochain, souligne le ministère. Vient ensuite le service public de l’énergie, qui recevra 453 millions d’euros. Il baisse de 57 millions d’euros par rapport à 2021. Ce service public guadeloupéen représente à lui seul le quart de la facture pour tout l’Outre-mer.
Autre dépense de poids, 340 millions d’euros vont aux relations avec les collectivités territoriales. Somme stable par rapport à l’an passé, dont 288 millions d’euros représentent la dotation globale de fonctionnement versée l’État, tandis que ses soutiens aux investissements restent à 50 millions d’euros, en baisse de 2 millions d’euros par rapport à 2020. Viennent ensuite 193 millions d’euros affectés à la sécurité (la gendarmerie – stable – et la police – en hausse légère), 138 millions à l’aide au logement et 121 millions à la défense. Puis 116 millions au travail et à l’emploi (en hausse de 30 millions sur 2021), autant à la justice (en baisse de 4 millions), 54 millions à l’agriculture, presque stable, et 8,6 millions à la culture (stable par rapport à 2021)…
Reste donc et surtout une baisse au chapitre solidarité, insertion et égalité des chances, qui recevra 139,5 millions d’euros en 2022, au lieu de 222,1 millions en 2021. Serait-ce le gros de la coupe de 100 millions ? À y regarder de près, la ligne inclusion sociale et protection des personnes, à laquelle étaient affectés 79,8 millions d’euros en 2021, passe à zéro l’an prochain ! Interrogé ce 27 octobre par Le Courrier de Guadeloupe sur une réduction aussi drastique, plutôt curieuse en année électorale, le ministère des Outre-mer répond que ce zéro ne reflète sans doute pas la réalité. Mais qu’il est lié au fait que » les services du ministère de la Santé n’ont pas rendu leur copie à temps « . Quels seront alors les crédits concernés en Guadeloupe? Car la ligne figure bien au DPT, en baisse de 450 millions d’euros en CP 2022 pour le total Outre-mer. Certes ces DPT qui traduisent les évolutions de crédits par territoires n’ont qu’une valeur indicative. Ils n’existent d’ailleurs pas pour les régions de France hexagonale. Mais si le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu n’apporte pas quelques précisions dès ce 2 novembre, lors de l’examen de cette partie dépenses de la loi de finances en commission des lois, les élus de Guadeloupe devraient pouvoir en obtenir auprès d’Olivier Véran, ministre des Solidarités et de la Santé en charge de ces crédits, laisse-t-on entendre au ministère. De préférence avant la discussion de ce budget en séance, le 9 novembre.
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