Manuel Valls a reproché mardi 22 octobre à l’opposition de mener une » fausse polémique » au sujet de la modulation des allocations familiales pour les revenus élevés, dont l’examen a débuté à l’Assemblée nationale dans le cadre du projet de budget de la Sécurité sociale pour 2015. Retour sur l’emballement d’une machine. Le point dans notre dossier.
François Hollande avait tranché jeudi 16 octobre dernier en faveur d’une modulation des allocations familiales selon le revenu à partir de 2015. Évidemment on ne pouvait pas s’attendre, dans un pays aussi contestataire, à ce que cette décision passe inaperçue. Les associations familiales et certains élus de droite – comme quoi ! – on tout de suite crié à l’atteinte au sacro-saint principe d’universalité dont les allocations familiales sont le dernier bastion. Mais dans les faits, dire ça, c’est se tromper de » u » réplique le gouvernement, qui défend sa position en parlant d’uniformisation des versements. En effet, pour les classes moyennes et les précaires cette mesure ne changera rien. Reste que cette polémique montre bien que la teneur idéologique des politiques familiales ne se dément pas. La découverte des multiples dérives et fraudes adossées aux allocations familiales, la natalité plus vigoureuse – pendant une période — des Français issus de l’immigration et ce que l’on appellera » les enfants des allocs » ainsi que leur poids croissant du budget des politiques familiales dans l’économie n’ont pas aidé à redorer le blason d’une mesure qui pourrait pourtant être conçue comme la plus grande réussite du gouvernement. La conception populaire, elle, officialise la volonté de renier aux Français justifiant de confortables revenus l’opportunité de bénéficier des aides proposées à tout citoyen et renforcer l’inégale égalité du système. Ça avait pourtant bien commencé. Encore un grand rêve socialiste qui a tourné court. À la base, les allocations familiales entendaient contribuer à faire de la société un endroit vivable pour tous en réduisant les inégalités dues, entre autres, aux écarts de revenus. Pour la petite histoire, les premières allocations sont versées en 1916. Ce n’est qu’en 1946 que la quasi-généralisation du système intervient pour soutenir la natalité française, alors molle, dans une redistribution dite » horizontale » et universelle. Dans les années soixante-dix s’installe un objectif de distribution verticale. Les aides sont alors orientées vers les foyers les plus modestes. Puis en 1978, la condition d’activité professionnelle nécessaire jusqu’alors pour la perception des allocations familiales est supprimée. C’est clairement le début de la perversion du système. C’est un fait. En chemin, les politiques familiales ont été amalgamées comme recours exclusifs des populations précaires alors même que l’universalité des aides n’a, elle, jamais été remise en question.
Allocations familiales : qui est concerné par la réforme ?
Dès juillet 2015, les allocations familiales devraient être modulées en fonction des revenus. Le texte, présenté sous forme d’amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS), devrait avoir été voté sans difficulté (au moment où nous bouclons ce numéro les débats sont en cours à l’Assemblée). Avant, toutes les familles avaient droit au même montant d’allocation, quels que soient leurs revenus pour vivre. La donne va changer, car à partir de 6 000 euros par mois par foyer, le montant des aides sera divisé par deux, puis par quatre à partir de 8 000 euros. L’objectif de la réforme est clair : réduire le déficit du budget de la sécurité sociale en faisant des économies sur les dépenses de la branche famille. Ce sont les caisses d’allocations familiales (CAF) qui se chargent de verser cette aide mensuelle, dont le montant est fixé par décret. Le revenu retenu pour le calcul sera le net imposable. Il n’apparaît pas sur la fiche de salaire, mais sur la feuille d’impôts, et il diffère du revenu fiscal de référence. Une révolution ? Dans les faits, pas vraiment… Le nombre de familles impactées par la mesure sera assez limité. Au niveau national, Marisol Touraine, ministre des affaires sociales et de la santé, estime que seuls 12% des foyers seront concernés. En Guadeloupe, le pourcentage sera vraisemblablement bien inférieur, en dessous des 10%. Ces calculs sont encore provisoires. Le cas des majorations lorsque les enfants grandissent n’a, par exemple, pas encore été précisé. Actuellement, pour un foyer avec un seul enfant, lorsqu’il atteint l’âge de 11 ans, l’allocation est majorée de 14,92 euros, puis de 22,92 euros lors des 16 ans de l’adolescent. À partir de deux enfants, la majoration passe à 64,67 euros pour l’ensemble du foyer. Quoi qu’il en soit, les versements s’arrêtent le mois précédant le 21e anniversaire de l’enfant à charge. Mais à ce moment-là, il n’est plus un enfant depuis longtemps.
« Ce n’est que justice »
Dès juillet 2015, les allocations familiales des ménages justifiant de plus de 6 000 euros de revenus mensuels pour deux enfants devraient être divisées par deux. Les ménages qui déclarent plus de 8 000 euros de revenus eux devraient voir les versements CAF divisés par quatre. Si le manque à gagner est certain, cette mesure, a priori ne devrait pas plomber le budget de ces familles. C’est d’ailleurs ce qu’elles estiment en majorité. » Je suis directement concerné par cette mesure. Mais elle ne me révolte pas. C’est sûr que ça fait de l’argent en moins, après je comprends aussi très bien que quand les temps sont durs, il est de notre devoir de citoyen de se serrer la ceinture. Pour tout dire c’est une réforme que je trouve juste » explique L. 50 ans, cadre supérieur employé de banque. D’autant que ces revenus permettent de compléter de manière commode les dépenses imprévues liées aux enfants. Même sentiment pour C. guadeloupéenne, réinstallée à Saint-François, mère au foyer, cinq enfants, épouse d’employé d’ambassade en poste à l’étranger. » Il est vrai que l’argent des allocations familiales vient gonfler le budget que l’on met à côté pour subvenir aux besoins des enfants. J’en vois le bénéfice quand il faut refaire les garde-robes pour la rentrée, pour l’achat du matériel technologique, ordinateur, téléphones portables et bien sûr pour leurs loisirs. En revanche, je me fais un devoir de ne dépenser cet argent que pour les enfants. » Quand on leur demande pourquoi elles ont réclamé les allocations familiales malgré leurs revenus la réponse est claire. Elles avancent l’universalité de la mesure. » Le fait d’avoir de l’argent ne m’enlève pas ma citoyenneté française. En plus, on n’est jamais à l’abri d’une mésaventure financière. Un mauvais placement immobilier ou des dettes plus élevées que prévu. Il faut penser aux enfants avant tout. « . Si les familles aisées ne se plaignent pas de ce coup de rabot, elles insistent tout de même sur l’exemplarité de l’utilisation de cet argent. Il y a eu trop d’abus, trop de « fraudes, trop de personnes qui ont déclaré de faux renseignements. Je pense que mettre de l’ordre permettra aussi de remettre en place idéologiquement l’une des plus belles mesures du gouvernement français pour la famille. » Continue la mère, qui avoue quand même à demi-mot avoir d’abord eu peur de les réclamer.
La CAF: un budget pharaonique
Les chiffres de la caisse d’allocations familiales (CAF) de Guadeloupe donnent le tournis tellement ils semblent irréels. Avec 743 millions euros de prestations versées en 2013 à 113 048 allocataires, et chacun d’eux a perçu en moyenne 6 570 euros sur l’année. Le budget se décompose entre les prestations liées à la naissance et à l’entretien des enfants (234 millions), les aides au logement (155 millions) et les » situations particulières « , le plus gros poste de dépenses avec plus de 352 millions. Les prestations qui concernent la famille sont les différentes aides à l’éducation et découlent de la politique familiale de la France. Plus généreuse que de nombreux pays dans le monde, même européens, c’est en partie elle qui a permis de soutenir la natalité française, bien meilleure que certains de ses voisins. La Guadeloupe profite de cette politique volontaire de soutien aux familles, et bénéficie d’une particularité (comme les autres DOM) : les allocations familiales sont versées dès le premier enfant, alors qu’elles débutent à partir du deuxième dans l’hexagone. Ces prestations comprennent les allocations familiales et leurs différentes majorations (105 millions d’euros), le complément familial (8 millions), l’allocation de rentrée scolaire (22 millions), la prestation accueil du jeune enfant (56 millions) et l’allocation de soutien familial (42 millions). Les aides au logement comprennent l’allocation de logement familial (ALF) et l’allocation de logement social (ALS). Elles sont non-cumulables. En Guadeloupe, comme dans tous les DOM, l’Aide Personnalisée au Logement (APL) n’existe pas. Selon la CAF, « l’état catastrophique du parc logement et la faiblesse des revenus des ménages ont conduit l’État à prendre en charge la reconstruction ou la réhabilitation des logements. De ce fait, l’ALS a été mise en place en 1980 « . Quant aux 352 millions des » situations particulières « , ils se composent essentiellement des prestations liées au handicap et à l’invalidité, et au RSA. Ce dernier est le poste majoritaire de dépenses avec plus de 210 millions d’euros et 49 819 bénéficiaires. Il assure aux personnes sans ressources ou avec de faibles rémunérations un niveau minimum de revenu. Il est variable selon la composition du foyer. Le RSA est ouvert aux personnes âgées d’au moins 25 ans et aux personnes âgées de 18 à 24 ans si elles sont parents isolés ou justifient d’une certaine durée d’activité professionnelle.
Les allocations familiales, tout le monde les touchent
Dans notre archipel, le montant global des allocations familiales atteint plus de 105 millions d’euros. Si on rajoute le complément familial et l’allocation de rentrée scolaire, on arrive à un budget d’environ 136 millions. À l’échelle de notre territoire, c’est l’un des plus gros postes de dépense de l’État. En juin 2014, en Guadeloupe, 55 412 foyers touchaient les allocations familiales. C’est plus que la Martinique (47 696) qui est à peu près dans la moyenne nationale (environ 48 000). Mais le nombre de bénéficiaires évolue, de mois en mois, d’années en années, au rythme des naissances. Pour l’année 2013, le nombre d’enfants allocataires en Guadeloupe s’élevait à plus de 120 000. Par définition universelles, les allocations familiales sont versées à tous les foyers avec enfant, quel que soit leur niveau de revenu et situation géographique. Dans les DOM, le montant de ces allocations est le même qu’en France hexagonale, mais avec des aménagements. Par exemple, les foyers hexagonaux commencent à toucher cette prestation à partir de deux enfants, alors qu’elle est versée dès le premier enfant dans les DOM, et donc en Guadeloupe.
En cas de séparation ou de divorce des parents, les allocations familiales sont versées au parent qui obtient la garde. En cas de résidence alternée, il est possible de demander le partage des allocations familiales. En revanche, les autres prestations familiales ne peuvent pas être partagées entre les deux parents : l’enfant doit obligatoirement être rattaché à l’un d’eux, désigné comme allocataire unique.
De leur côté, les étrangers, même non-européens, peuvent également bénéficier de prestations comme les allocations familiales. Ils doivent remplir un certain nombre de conditions, que ce soit au niveau du demandeur (résidence en France, titre de séjour en règle, etc.) qu’au niveau de l’enfant (né en France, venu dans le cadre du regroupement familial, etc.)
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