Originaire d'Asie d’où il s’est propagé depuis 1980, Aedes albopictus s'est adapté à une large gamme de climats, des tropiques aux régions tempérées. Photo : Sipa

Ce mardi 19 novembre, l’Agence régionale de santé donne une conférence de presse où sont conviés l’Association des maires de Guadeloupe représentée par Jeanny Marc maire de Deshaies, le Professeur Patrick Portecop pour le Samu, le docteur Blandine Muanza des urgences pédiatriques du CHU, Lucie Léon bio statisticienne à Santé publique France en charge des données épidémiologiques. L’objectif est de sonner la mobilisation de tous contre les moustiques vecteurs de la dengue.

Vendredi dernier, la Guadeloupe est entrée « en phase épidémique », selon un communiqué commun de la préfecture, de l’association des maires de Guadeloupe et de l’Agence Régionale de Santé (ARS) de Guadeloupe et des îles du Nord. Exit la phase de surveillance. Les responsables de santé publique évoquent le risque d’avoir un nombre élevé de cas de dengue. La faute à un sérotype rare du virus et un nouveau moustique (dénommé tigre) qui pourraient provoquer une augmentation significative des cas graves de l’affection.

Forte fièvre, courbatures et fatigue, voilà les symptômes de la dengue, maladie infectieuse potentiellement mortelle. Cette année, un sérotype du virus de la dengue qui a peu circulé ces vingt dernières années, le dénommé DENV3, fait redouter aux autorités des risques de formes graves et donc un nombre élevé de cas si des actions efficaces de lutte ou de prévention ne sont pas mises en œuvre.

« Pour la dengue, il y a quatre sérotypes, explique, Anna-Bella Failloux, Professeur en entomologie médicale et spécialiste des moustiques à l’Institut Pasteur. Actuellement, c’est la dengue 3 qui sévit en Guadeloupe, certainement sur un terrain où la plupart de la population n’a pas connu cette dengue 3, ce qui explique la flambée épidémique sur place. »

Envolée des cas

Ce qui inquiète les agents de santé, c’est que parmi 62 échantillons contaminés analysés dans l’archipel entre la fin septembre et la mi-octobre, 97 % sont DENV3. Le seuil saisonnier des cas cliniques 80 cas hebdomadaires est très largement dépassé. À la fin d’octobre, il était estimé à 540 en médecine de ville. Soit plus du double par rapport au mois de septembre. On enregistre en moyenne 40 passages par semaine aux urgences pour suspicion de dengue, le double par rapport à septembre.

« Ce qui est inquiétant, c’est que la dengue est une maladie qui peut causer une certaine mortalité même faible, explique Anna-Bella Failloux. Donc, on peut s’en inquiéter, mais surtout le moustique qui est à l’origine de la transmission est omniprésent. » Qui plus est, le territoire où sévissait principalement le moustique Aedes aegypti fait face à l’émergence d’un nouveau type, le moustique tigre (Aedes albopictus), « hautement compétent pour transmettre toutes les arboviroses (dengue, chikungunya, Zika) », selon un communiqué publié fin octobre.

« Le moustique tigre a été détecté il n’y a pas si longtemps à Saint-Barthélemy, pas très loin de la Guadeloupe, poursuit Anna-Bella Failloux. Ce qui laisse craindre que ce nouveau moustique arrive en Guadeloupe et risque de changer la transmission de la dengue sur place. »

Le moustique tigre (Aedes albopictus) s’installe dans le monde et est plus problématique qu’Aedes aegypti. Photo : DR

Tigre redoutable

Originaire d’Asie d’où il s’est propagé depuis 1980, Aedes albopictus s’est adapté à une large gamme de climats, des tropiques aux régions tempérées, grâce à ses œufs résistants à la déshydratation. Aedes albopictus est opportuniste et se nourrit aussi bien sur les animaux (domestiques, oiseaux, grenouilles etc.) que sur les hommes. Ce régime alimentaire augmente ses opportunités de contracter et transmettre le virus. Des dispositions différentes d’Aedes aegypti parti d’Afrique du temps du commerce esclavagiste, qui privilégie le milieu urbain et pique plutôt les humains.

Une fois infecté, les scientifiques ont observé une plus grande multiplication du virus dans l’organisme du moustique tigre, ce qui augmente la transmission via ses glandes salivaires lors de la piqûre. La longévité et la capacité d’Aedes albopictus à coloniser et se reproduire dans de très petites quantités d’eau stagnante renforcent son rôle dans les épidémies. Le moustique tigre trouve des gîtes en milieu urbain (pots de fleurs, gouttières, récipients etc.) et en milieu naturel (trous d’arbres, coquilles vides de fruits, creux dans les roches etc.).

Un moustique se nourrit sur le dos d'une grenouille. Photo : DR
Un moustique tigre se nourrit sur le dos d’une grenouille. Photo : DR

Jusqu’à 500 mètres de vol

Alors qu’Aedes aegypti parcourt en général moins de 100 mètres autour de ses gîtes larvaires, Aedes albopictus se montre plus mobile. Le moustique tigre peut couvrir des distances jusqu’à 500 mètres autour de ses hôtes et sites de reproduction. Cette mobilité exige des mesures de prévention renforcées par l’élimination régulière des eaux stagnantes dans un rayon suffisant autour des habitations.

La conférence de presse de ce mardi 19 novembre, sous le slogan « la mobilisation de tous est nécessaire ! fò tout moun sanblé pou baré moustik-la ! », cherche à mobiliser le public pour aider à briser le cycle de reproduction de ces moustiques. Chaque foyer est responsable de son environnement immédiat et les autorités sont responsables des espaces publics.

Pas de traitement spécifique

En l’absence de traitement qui combat directement la maladie, il faut traiter les symptômes. Pour les formes simples, le paracétamol soulage la douleur et réduit la fièvre. Il faut le coupler à une hydratation importante par voie orale.

Avec la crainte de la flambée des cas, la prévention redouble de nécessité. Elle repose principalement sur la lutte contre les moustiques propageant le virus et des mesures de protection individuelle. Les responsables sanitaires rappellent qu’il est capital de lutter contre les eaux stagnantes qui permettent aux larves de moustiques de se développer. Ces points d’eau sont souvent situés autour ou dans les habitations et peuvent avoir été alimentés par les fortes pluies récentes.

Il est aussi conseillé d’utiliser des répulsifs, de porter des vêtements couvrants et d’installer des moustiquaires sur les habitations. Des insecticides peuvent également être employés, mais leur utilisation massive peut engendrer des phénomènes de résistance chez les populations de moustiques, les rendant moins efficaces.

Une épidémie plus importante

Les épidémies reviennent tous les trois à cinq ans et durent généralement 12 à 18 mois dans les zones tropicales et intertropicales. Mais cette fois les chiffres explosent. La Guyane a connu en début d’année la plus importante épidémie de dengue depuis une vingtaine d’années. Elle a commencé mi-2023 et s’est accélérée début janvier avec 800 nouveaux cas déclarés en moyenne par semaine.

Dans le pays voisin, le Brésil, le moustique tigre a réussi à coloniser presque l’intégralité des 8 516 000 km² du territoire en moins de cinq ans, entre 2015 et 2020 (voir cartographie ci-dessous). Ce géant de l’Amérique latine est environ 5 232 fois plus grand que la Guadeloupe en superficie.

L’incidence de la dengue dans la capitale Brasilia était de 1 700 cas de dengue pour 100 000 habitants en début d’année. Les hôpitaux avaient du mal à accueillir les centaines de patients fiévreux. Le 18 septembre dernier, le président de la République en personne, Luiz Inacio Lula da Silva, accompagné de la ministre de la Santé, Nisia Trindade Lima, ont présenté le plan d’action 2024/2025 pour atténuer les impacts de la dengue.

Répartition spatio-temporelle actualisée d’Aedes albopictus (moustique tigre) au Brésil entre 2015 et 2020. Source : ScienceDirect

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que 4 milliards de personnes sont exposées au risque d’infection par les arbovirus dans le monde, et ce nombre devrait atteindre 5 milliards d’ici 2050. Les cas de dengue ont augmenté dans les six régions de l’OMS, et le nombre de cas a presque doublé chaque année depuis 2021, avec plus de 12,3 millions de cas à la fin du mois d’août de cette année, soit près du double des 6,5 millions de cas signalés pour toute l’année 2023.

Le 3 octobre dernier, l’institution a lancé son Plan stratégique mondial de préparation et de riposte pour lutter contre la dengue et d’autres arbovirus transmis par le moustique Aedes. Le budget qui y est consacré est de 55 millions de dollars jusqu’en septembre 2025.

Poster un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée.