L’inauguration samedi 17 février de l’œuvre temporaire de l’artiste Ronald Cyrille, plus connu sous le pseudonyme de B.Birds, retient l’attention. Intitulée « L’Accolade », cette création artistique remarquable, mesurant 3 mètres de haut, met en lumière un chapitre significatif de l’histoire de la Guadeloupe, en l’honneur des Kalinagos, qui furent les premiers habitants de l’archipel.

Le projet « Mondes nouveaux » de Ronald Cyrille comprend une série d’une cinquantaine d’œuvres, incluant des toiles, des dessins, des encres, des collages, un court-métrage intitulé « L’antre deux », et la sculpture, « L’Accolade ».

Contrairement à une commande artistique traditionnelle, « Mondes nouveaux » offre une liberté totale aux artistes sélectionnés pour exprimer leurs visions sans contraintes. Comme ses confrères, le Guadeloupéen a bénéficié d’une bourse de recherche pour élaborer son projet, ainsi que du soutien du comité artistique, tout en restant propriétaire de son œuvre.

Ce programme doté d’un budget de 30 millions d’euros, dans le cadre du plan « France Relance », soutient 430 artistes qui ont eu l’opportunité de concevoir et présenter une œuvre originale. Le comité artistique, présidé par Bernard Blistène, ancien directeur du Musée national d’art moderne au Centre Pompidou, a retenu le projet de Ronald Cyrille.

Artiste plasticien et muraliste, il se distingue par son talent à « jouer avec des combinaisons de reliefs et de paysages caribéens, d’animaux de son bestiaire et de personnages tantôt bicéphales, tantôt pourvus de membres disproportionnés en encore composés de branches d’arbres de feuilles ou d’attributs d’animaux vivant dans le bassin caribéen ».

Située aux Monts Caraïbes à Gourbeyre, juste en face de la Poudrière, L’Accolade établit un pont entre plusieurs temps. Ces monts, situés dans le sud de Basse-Terre, représentent un vaste territoire culminant à 687 mètres d’altitude. Le site est profondément connecté à l’histoire des Kalinagos, leur ayant servi de terrains de chasse et de pêche.

Gourbeyre, un lieu historique

« Je m’intéresse aussi à mon héritage et métissage Kalinago » explique Ronald Cyrille, soutenu par Laurella Rinçon, la commissaire de l’exposition. Au-delà de questionner le lien entre l’homme, l’animal et le végétal, L’Accolade est donc aussi une réflexion sur la richesse de l’identité guadeloupéenne.

Cette œuvre invite à réhabiliter l’histoire des Kalinagos, interrogeant la chronologie et la réalité de leur disparition en Guadeloupe. Contrairement aux narrations coloniales affirmant leur extermination dès 1636, à la suite de la guerre que leur a déclaré de L’Olive, des preuves de leur persévérance se manifestent bien au-delà.

Le 31 mars 1660, c’est aussi à Gourbeyre qu’a lieu un événement historique significatif : le gouverneur Charles Houël convie une quinzaine de chefs Caraïbes pour signer un traité de paix avec les Français et les Anglais connu sous le nom de Traité de Guadeloupe. Ce document historique confirme la survie des Caraïbes, leur prêtant refuge au nord et à l’est de la Grande-Terre, en des lieux tels que la pointe de la Grande-Vigie à Anse-Bertrand et la Pointe des Châteaux à Saint-François.

Plus tard encore, en octobre 1739, fut enregistré au Conseil souverain de la Martinique l’ordonnance du 2 mars « portant défense de traiter des Caraïbes et Indiens et de les vendre comme esclaves ». Ce texte consacrant le droit imprescriptible des Caraïbes à la liberté, atteste lui aussi de leur persistance près de 80 ans après leur supposé repli total vers la Dominique ou Sainte-Lucie. En tant que la plus vaste des îles des Petites Antilles, la Guadeloupe, à travers le parallélisme avec les observations faites en Martinique, peut également inscrire le maintien de sa population Kalinago durant cette époque.

Enfin en 1848, les inventaires révolutionnaires dressent pour chaque commune le nombre de personnes présentes dans les bourgs et les habitations. Elles sont répertoriées par R pour « rouges », N pour « noirs » et B pour « blancs ». Les « rouges », qui à l’évidence désignent les peaux rouges, indiens Kalinagos, sont distillés dans toutes les communes de Basse-Terre, Grande-Terre, Marie-Galante, Désirade et Saint-Martin.

En plus de l’attribut de couleur, une mention de l’inventaire de l’habitation Pouzol dans la commune de Port-Louis est particulièrement évocatrice de la présence Kalinago : « Il y a 50 citoyens de cette hab. qui sont ou divagants, ou à bord de corsaires, ou dans les pirogues ».

Ronald Cyrille a toutes les raisons d’explorer son héritage et métissage Kalinago. Face aux efforts de l’histoire coloniale visant à effacer leur existence, l’évidence de leur métissage et de leur présence persistante dans la population guadeloupéenne se révèle peu à peu.

La municipalité de Gourbeyre invite le public à venir admirer cette œuvre exceptionnelle, qui restera exposée jusqu’au mois de mai.

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