Acculé, le maire démissionne

• La note du préfet – divulguée dans la presse locale, nationale et les réseaux sociaux — adressée au gouvernement a eu raison de Jacques Bangou. Le maire de Pointe-à-Pitre jette l’éponge.

Vendredi 19 juillet. 15 heures. Quelque part dans un bureau de l’agglomération pointoise, Jacques Bangou, maire de la ville, entouré d’une demi-dizaine de conseillers, vient de décider de jeter l’éponge. Convaincu que l’étau se resserre, le premier cercle de collaborateurs du maire le convainc que sa démission à la fonction de maire est la seule façon d’éviter l’humiliation de la révocation. Une note du préfet datée du 17 juillet circule le même jour sur les réseaux sociaux et dans la presse. L’Agence France presse rédige une dépêche qui sera reprise par nouvelobs.com, ouest-france.fr etc. Dans ce mémento adressé au ministre de l’Intérieur et au ministre des Outre-mer, Philippe Gustin relance avec insistance la révocation de Jacques Bangou. Le préfet rappelle les griefs formulés par la Chambre régionale des comptes (CRC) : « Situation financière grave qui risque à brèves échéances de ne plus pouvoir se redresser, insincérités budgétaires, absence de réaction de la commune, non-application des mesures préconisées depuis 2015 par la CRC ». Il juge ensuite inopérantes voire insignifiantes les réponses apportées par le maire. Le préfet s’appuie sur des éléments factuels. « Depuis 2015, la Chambre régionale des comptes (CRC) propose des mesures de redressement dont la commune ne tient aucun compte. (…) En mars 2019, la Chambre a publié fin mars qui pointait un déficit du compte administratif qui dépasse les 58 millions d’euros et un budget primitif 2018 en déficit de 78 millions d’euros ».

La dernière partie de la note a un caractère plus politique. Le préfet explique en substance que si la révocation n’est pas prononcée, l’État perdra la face. Surtout, selon lui, la mesure ne comporte aucun risque politique. Les élus qui ont soutenu le maire de Pointe-à-Pitre ne sont pas nombreux etc. Philippe Gustin se veut convaincant. Il veut la révocation de Jacques Bangou.

Pratiques autoritaires ?

Samedi 20 juillet, le maire acculé, dans un communiqué à la presse, annonce qu’il adresse ce jour sa démission de maire au préfet. Jacques Bangou explique qu’il démissionne afin de « préserver la ville des coups incessants qui lui sont portés et parce qu’il est confronté à une volonté établie de l’écarter à des fins politiques ». Le maire dénonce « un retour de l’État à des pratiques autoritaires bien connues avant la décentralisation ». Jacques Bangou tire une dernière salve contre l’État : « la crédibilité de l’État ne tient pas dans le déchoukage d’un maire mais réside dans le taux de chômage de la population, dans le taux de criminalité, et dans la situation sanitaire, sociale et économique du pays ».

Josiane Gatibelza en piste jusqu’en mars 2020 ?

• Josiane Gatibelza, mairesse par défaut.

Le préfet a informé dans un courrier daté du 22 juillet Jacques Bangou qu’il acceptait sa démission en tant que maire de Pointe-à-Pitre. Dès le lendemain 23 juillet, Philippe Gustin a écrit à Josiane Gatibelza afin de lui faire part de sa décision. Le préfet lui a confirmé qu’en sa qualité de première adjointe, elle remplaçait le maire démissionnaire. Il lui appartient de convoquer sous quinzaine le conseil municipal, afin de procéder à l’élection du nouveau maire et de ses adjoints. La désormais mairesse par intérim a convoqué le conseil municipal le mardi 30 juillet avec comme ordre du jour principal l’élection du nouveau maire. Josiane Gatibelza a toutes les chances de succéder à Jacques Bangou jusqu’en mars prochain si elle se présente. Marcel Sigiscar et aucun autre membre de la majorité ne lui disputeront la place. Selon nos informations le groupe Brédent s’abstiendra. La vraie bataille pour le fauteuil de maire commence en mars 2020.

Jacques Bangou soutiendra Sigiscar ou Brédent ?

• Toutes les cartes rebattues à Pointe-à-Pitre.

Le prochain scrutin municipal à Pointe-à-Pitre s’annonçait déjà compliqué. Pas seulement à cause de la pléthore de candidats qui rêvent tous de succéder à Jacques Bangou. C’est surtout parce que chacun prône l’union et aussitôt crie très fort « l’union c’est moi devant et tout le monde derrière », selon la formule de Didier Ako, militant politique actif du quartier de Lauricisque. Ce principe a cours, y compris à l’intérieur même de certains groupes. La ville aux finances exsangues ne rebute pas les candidats. Au contraire. À l’annonce de la démission de Jacques Bangou, les prétendants ont fait savoir à mots couverts qu’ils étaient tous sur la ligne de départ. Ou presque. Sauf que la démission de Jacques Bangou complexifie encore plus la situation. S’il avait l’intention de se représenter en mars, le maire démissionnaire devra y réfléchir à deux fois. Marcel Sigiscar membre de sa majorité lui a coupé l’herbe sous le pied. Le deuxième adjoint au maire a annoncé sa candidature sur RCI. Cette nouvelle donne n’est pas la seule. À l’intérieur du groupe Lapwent an mouvman les cartes pourraient être redistribuées.

Complot familial ?

De source proche du groupe, Georges Brédent qui devait laisser la place à Tania Galvani comme tête de liste veut reprendre les manettes. Discours officiel : l’heure est suffisamment grave pour que le chef se retrousse les manches. La République en marche (LREM) pourrait adhérer au projet Brédent en tant que candidat tête de liste. Le parti du président se rattraperait d’avoir écarté le conseiller régional de la liste LREM en vue des élections européennes. Aujourd’hui la stratégie d’en marche c’est de réunir le plus de maires possible sous sa bannière. Y compris en Guadeloupe. Pas sûr toutefois que Tania Galvani se laisse convaincre. Dans son communiqué du 24 juillet, elle dit clairement qu’elle « s’inscrit dans l’écriture d’une nouvelle page de l’histoire de Pointe-à-Pitre » (en gras dans le texte). Avec « une nouvelle génération d’élus ». Autrement dit, le vieux monde de Georges Brédent n’est pas qualifié. Elle signe son communiqué au nom d’un groupe intitulé Doubout pou Lapwent. Ce n’est plus Lapwent an mouvman. La négociation promet d’être rude. Dans le microcosme pointois, la question qui revient est la suivante : que vont faire Jacques Bangou et l’équipe de sa majorité ? Vont-ils soutenir Marcel Sigiscar ou se rallier à Georges Brédent ? Un supporter de Marcel Sigiscar qui requiert l’anonymat crie déjà au complot familial. Quant à Harry Durimel autre poids lourd de cette élection, il a choisi de pilonner Jacques Bangou et de se ranger à la décision du préfet. « Choix tactique », commente un fin connaisseur de l’échiquier politique pointois. À chacun la sienne.

Au travers des discours, la guerre de succession a commencé

• Du plus clément au plus sévère. Les élus se sont exprimés sur la démission de Jacques Bangou. Ceux de Pointe-à-Pitre avec l’arrière-pensée des municipales.

Le personnel politique n’a pas tardé à réagir à la démission du maire de Pointe-à-Pitre. Certains compatissent. Le maire des Abymes salue une décision courageuse. Il se dit toutefois « étonné d’une demande de révocation prise à moins d’un an des élections municipales ». Éric Jalton ne veut pas employer le terme de complot mais il trouve cela quand même très suspect. D’autres déploient un luxe de précautions afin de ménager la chèvre et le chou. Philipson Francfort, maire de Morne-à-l’Eau, se dit triste, peiné.Jacques Bangou a selon lui réalisé un travail formidable à Pointe-à-Pitre. Quant à Marcel Sigiscar, il prône le respect des mesures préconisées par la Chambre régionale des comptes. Membre de la majorité à Pointe-à-Pitre, il annonce dans la foulée sa candidature aux prochaines municipales. Les avis les plus tranchés sont au Parti socialiste qui parle de stigmatisation, d’intimidation, de cabale éminemment politique. Le communiqué des élus socialistes du 20 juillet relève des considérations politiques dans la note du préfet. Plusieurs personnalités de l’opposition municipale se sont exprimées. Marie-France Trobo s’est réjouie. Elle avait lancé une pétition en vue de la démission du maire. Tania Galvani estime que la ville a besoin de changement. Claude Barfleur dénonce trente ans de mauvaise gestion et une démission tactique. Georges Brédent se positionne en force de proposition. Le plus virulent est Harry Durimel. Dans son communiqué, le président d’Oxygène écrit que la démission de Jacques Bangou est un déni, un stratagème, un pied de nez au préfet et une entourloupe à la Guadeloupe. Il réfute tout acharnement néocolonialiste. « L’État est dans son droit et c’est une chance pour Pointe-à-Pitre », conclut l’écologiste. Une nouvelle phase s’annonce. Tout le monde prend place. Le discours de chacun éclaire sa stratégie à venir.

À qui le tour ?

Plusieurs cadres des collectivités territoriales ont échangé jeudi 25 juillet au cours d’un déjeuner. Selon eux, la chute de Jacques Bangou a fait passer un frisson chez les élus. En six mois le préfet a eu la tête de Lucette Michaux-Chevry et celle de Jacques Bangou. Les élus se demandent maintenant à qui le tour ?

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