« Le serment des ancêtres », documentaire de 52 minutes signé Claude Ribbe a été projeté en avant-première le 3 mai au Mémorial acte (photo ci-dessus), à l’initiative du conseil régional, devant deux cent cinquante spectateurs. Le film cofinancé par la Région à hauteur de 20 000 euros, retrace la vie et l’œuvre de Guillaume Guillon Lethière, illustre peintre guadeloupéen né esclave à Sainte-Anne.
Guillaume Guillon Lethière est un peintre néoclassique du XIXe siècle qui a été célèbre de son vivant. Sa carrière fut extrêmement brillante. Pensionnaire, puis directeur de l’Académie de France à Rome à la villa Médicis, il a aussi été professeur à l’école des beaux-Arts à Paris. Lethière a formé et influencé tous ceux qui comptent dans la peinture française de la première moitié du XIXe siècle.
Les tableaux et dessins du peintre sont dans tous les grands musées du monde. Mais il a vite été oublié après sa mort. C’est seulement en 2024 grâce à l’intérêt croissant qu’occasionne depuis 1991 son tableau mythique « Le serment des ancêtres » qu’il bénéficie d’une vraie reconnaissance.

Ce tableau emblématique, engagé et révolutionnaire qui exalte la liberté et condamne le racisme a été offert par Lethière à la République d’Haïti en 1823. Après avoir subi les affres du temps, ceux du dernier tremblement de terre en Haïti notamment, le tableau récupéré dans un état désastreux a été restauré à Paris. Il est aujourd’hui conservé à la Banque nationale d’Haïti et n’est pas exposé au public.
Le documentaire de Claude Ribbe évoque la carrière et l’œuvre de l’artiste. Mais c’est « Le serment des ancêtres », l’œuvre qui parle le plus aux Guadeloupéens, aux Haïtiens et plus globalement aux Afro-Descendants de la Caraïbe, dont les ancêtres ont été esclavagisés qui constitue la trame du film.
Le tableau est une allégorie où sont donnés à voir Alexandre Pétion, général mulâtre haïtien et Jean-Jacques Dessalines général noir haïtien faisant serment de s’engager pour l’éradication de l’esclavage en Haïti et l’émancipation du pays. Le tout sous le regard protecteur du Dieu de l’ancien Testament dans une représentation classique. Claude Ribbe entraîne le spectateur dans un voyage en Haïti, aux États-Unis, à Rome, à Naples, en Sicile. Et malheureusement pas suffisamment en Guadeloupe où est né Lethière.
Claude Ribbe qui est d’origine guadeloupéenne par son père, s’est plusieurs fois penché sur le passé esclavagiste de la France et a tenté de mettre en lumière des figures issues de cette époque de la traite et/ou coloniale. Il a réhabilité le général Alexandre Dumas né esclave et rival de Napoléon Bonaparte dans le « Diable Noir » en 2009.
Il a également raconté l’épopée du Chevalier de Saint-Georges, maître d’armes expert et violoniste virtuose d’origine guadeloupéenne en 2011. Il a sorti de l’oubli dans lequel il avait été plongé, Eugène Bullard, héros américain, pilote dans l’armée française durant la 1re guerre mondiale et premier noir aviateur de combat en lui consacrant un film en 2013.
Avec « Le serment des ancêtres », Claude Ribbe s’intéresse cette fois au parcours singulier et à l’œuvre magistrale du guadeloupéen Guillaume Guillon Lethière. Il met en lumière des témoignages qui au-delà de leur charge émotionnelle renforcent la trame épique du destin de Lethière et de son tableau. C’est le cas du récit de Frédéric Mitterrand relatant les circonstances chaotiques dans lesquelles l’œuvre offerte par Lethière à la République d’Haïti a été récupérée au lendemain du tremblement de terre de 2010 qui a dévasté Haïti. C’est aussi le cas de la contribution de Geneviève Capy et de Florent Laballe. Ils ont retrouvé la trace du tableau et l’ont sorti de l’oubli.
Plusieurs spectateurs pourtant intellectuellement équipés avouaient connaître tout juste la rue Lethière à Pointe-à-Pitre
Claude Ribbe a toutefois ignoré, pour construire son documentaire, les travaux et les contributions qu’auraient pu lui apporter les historiens et exégèses guadeloupéens de Lethière, même si ces derniers sont fort rares. La parole est donnée au seul Jérôme Filleau, propriétaire du musée privé des beaux-arts à Saint-François qui expose des tableaux de peintres guadeloupéens au rang desquels on retrouve quelques œuvres de Lethière.
Lethière est Guadeloupéen. C’est ce qui justifie en grande partie la contribution de la Région Guadeloupe au financement du documentaire. Malheureusement, le film n’apporte rien ou si peu d’informations sur ce trait singulier du personnage. Il ne fait pas non plus mention des exégètes guadeloupéens ou haïtiens qui ont travaillé sur Lethière. Un développement visible de cette spécificité aurait eu son intérêt.
Sur les 250 spectateurs présents lors de la projection, les trois quarts sinon davantage, ne savaient pas que Lethière était un peintre guadeloupéen de premier rang. Lors de la collation d’après projection, plusieurs spectateurs pourtant intellectuellement équipés avouaient connaître tout juste la rue Lethière à Pointe-à-Pitre, sans savoir qui répondait de ce patronyme. A fortiori auraient-ils pu l’attribuer à un Guadeloupéen, grand peintre néoclassique de surcroît.
Gérald Alexis, artiste haïtien, a publié en 2016 une analyse du « Serment des ancêtres ». Le documentaire n’en fait même pas allusion. Richard-Viktor Sainsily, plasticien guadeloupéen reconnu, a consacré un article très fouillé dans la revue du Centre d’études et de recherches en esthétique et arts plastiques (Cereap) à la vie et l’œuvre de Lethière intitulé « Guillaume Guillon-Lethière, la posture insolite ou l’imposture ».
Le plasticien est également l’auteur d’une sculpture du visage de Lethière réalisé à partir d’un portrait exécuté par le réputé peintre Jean-Auguste Dominique Ingres. L’ouvrage qui aurait dû être rénové depuis des années trône au carrefour Ffrench à Sainte-Anne. Lieu ou est né Lethière. Claude Ribbe ou ses collaborateurs n’ont pas pu manquer cet ouvrage en allant à Saint-François.
Énoncer les travaux du plasticien Sainsily, recueillir sa critique et son analyse du « Serment des ancêtres ». Confronter l’analyse de Gérald Alexis du tableau à celle des exégètes de l’Hexagone aurait non seulement contribué à donner une couleur plus locale au documentaire, mais aurait également apporté du neuf dans la recherche esthétique concernant l’œuvre de Lethière.
Poster un commentaire