DÉLOCALISATION PARTIELLE
Cinq heures de réunion ont abouti à l’annonce d’un transfert du CHU hors des murs qui depuis le sinistre du 28 novembre n’ont pas été réhabilités. À l’issue de cette rencontre le directeur Pierre Thépot s’est éclipsé.
« Nous avons décidé de faire une délocalisation partielle du CHU « , annonce Josette Borel-Lincertin présidente du conseil de surveillance du CHU après plus de cinq heures d’échange. Il est un peu plus de 9 heures ce mercredi 7 mars lorsque la réunion lors du conseil de surveillance élargi démarre. Malgré un temps maussade, le personnel du centre hospitalier fait le pied de grue devant la salle. À mi-parcours, Gaby Clavier, représentant du personnel UTS-UGTG, vient faire un point sur la situation. » Kon man Borel di, li i vin’ pou la transparans ! « Car la transparence, c’est bien ce que demandent les agents ainsi que la population depuis l’incendie.
» Les services délocalisables «
Vers 14 heures, la porte s’ouvre brutalement. Pierre Thépot visiblement très pressé sort de la pièce d’un pas rapide et se dirige vers son bureau sans se retourner. » Au vu des difficultés que nous avons d’appréhender pour une délocalisation complète, nous avons pensé aux services qui sont pour l’instant délocalisables ainsi que les soins critiques « , explique la présidente après avoir invité le public à entrer, » nous avons mesuré l’ampleur de ce qui nous attend et nous avons décidé de faire une délocalisation en deux temps. D’abord une délocalisation qui se fera avec un travail en commun avec l’ARS, puis avec les médecins et le personnel ». Les membres du personnel doivent s’y préparer, ils seront certainement dispatchés dans les différents centres de soins de la Guadeloupe. » La réponse qui est apportée en termes de délocalisation partielle pour une vraie mise à norme des services prend en compte les aspects de santé des patients mais aussi du personnel « , ajoute Jacques Bangou, maire de Pointe-à-Pitre et premier vice-président du conseil de surveillance du CHU.
Délocalisation interne ou externe ?
Le jeudi 1er mars une délocalisation partielle en interne du CHU était annoncée suite à une réunion du CHSCT. Si la délocalisation externe » présentait l’avantage de rassurer une partie du personnel « , a déclaré la direction dans un communiqué, elle comportait aussi » un risque sanitaire majeur » et » une logistique trop importante « . Il s’agissait donc d’un scénario » impossible à mettre en œuvre « . Cette décision, qui semblait être » la meilleure solution » pour Pierre Thépot, le directeur du CHU, a été très mal reçue par le collectif de défense qui prône une délocalisation externe totale. Les malaises sont devenus de plus en plus nombreux et les services ont commencé à se vider peu à peu. » Nous sommes un lieu expérimental « , s’insurgeait Mona Hedreville le 5 mars dernier, » les travaux qui se font en site occupé entraînent une remise en circulation des émanations toxiques, d’où l’intérêt d’une délocalisation externe ». Le 3 mars, Annick Girardin, ministre des Outre-mer a suspendu la délocalisation partielle interne. » Cette décision n’est pas, me semble-t-il, suffisamment éclairée aujourd’hui » avait-elle affirmé. Le conseil de surveillance a alors coupé la poire en deux en prenant la décision d’une délocalisation partielle externe. » Ce que nous avons exigé c’est de savoir combien de temps les services concernés seront ailleurs, comment la prise en charge sera gérée de façon à être le moins déstabilisant possible à la fois pour les médecins et le personnel » a déclaré Josette Borel-Lincertin. » Il y aura des obstacles à surmonter et des solutions à trouver en termes de transport des patients. Il y aura sur le site les services critiques mais il y aura aussi ce besoin de transférer les patients sur les lieux d’hospitalisation qui ont été choisis » conclut Jacques Bangou. Reste à savoir où seront délocalisés ces services. Le centre gérontologique du Raizet a été cité, ainsi que la clinique de Choisy au Gosier et le centre hospitalier de Capesterre-Belle-Eau.
» IL EST IMPOSSIBLE DE NETTOYER LES GAINES QUI N’ONT JAMAIS ÉTÉ NETTOYÉES DEPUIS LA CONSTRUCTION DE L’HÔPITAL IL Y A 30 ANS «
11 h 10 le lundi 5 mars. Le collectif de défense du CHU est réuni à l’amphithéâtre de l’IFSI pour une nouvelle réunion d’information. Au moment où Mona Hedreville, cardiologue au CHU de Guadeloupe, prend la parole, une jeune femme soutenue par une collègue entre dans la pièce en titubant. Visiblement étourdie, elle peine à se mouvoir. Sa main gauche posée sur son front laisse penser qu’elle souffre de maux de tête. Avec difficulté elle parvient à s’asseoir au premier rang et fait face aux deux protagonistes, Mona Hedreville et Gaby Clavier, médusés. » Nous allons donner la parole à notre collègue afin qu’elle puisse rentrer chez elle se reposer « , annonce la cardiologue. La semaine dernière, cette infirmière en pédiatrie a fait un malaise sur son lieu de travail. Nausées, vomissements, éruptions cutanées, tous ces symptômes sont semblables à ceux constatés chez des membres du personnel depuis l’incendie. » On m’a d’abord fait un scanner. S’il s’était révélé normal, on n’aurait pas eu à me faire d’analyses « , balbutie-t-elle, » on m’a fait des prélèvements et, comme par hasard les résultats ont disparu « . Manque de chance ou acte délibéré, dans l’assemblée les hypothèses vont bon train. Au centre hospitalier universitaire, la situation se dégrade de jour en jour. » Maintenant c’est la médecine C qui a fermé « , déplore le Dr Hedreville, » certains médecins ont dû subir des IRM après qu’ils ont présenté les mêmes symptômes. On a constaté des lésions cérébrales chez ces derniers« . Les services de médecine C, qui comprend l’hépatogastro-entérologie, la cancérologie ainsi que les soins palliatifs se situent dans la tour Nord qui est, désormais, la zone la plus à risque. » Les infirmières en pédiatrie B ont, elles aussi, commencé à se sentir mal. Ce sont ensuite les mamans, en chirurgie pédiatrique qui ont montré des signes d’intoxication au CO. La situation s’aggrave« . Dans l’amphithéâtre, on peut entendre les mouches voler. On ne dit mot, certains échangent des regards apeurés. » Et si nous étions les suivants ? » s’inquiète une infirmière assise au 3e rang.
Les toxines se propagent
» Une délocalisation en urgence est nécessaire « , déclare Gaby Clavier. L’air grave, le représentant du personnel UTS-UGTG est formel, « il y a un véritable génocide au CHU. C’est ce que l’on appelle un ‘meurtre sur ordonnance’« . Les mots sont durs mais réfléchis. « Pour la ministre ça a été une surprise totale. Le ministère de l’Outre-mer n’était pas au courant de la situation catastrophique du CHU « , explique-t-il sceptique, » elle a donc décidé d’arrêter le processus de délocalisation interne« . Au fond de la salle, un agent du centre de sécurité incendie décide de prendre la parole. L’homme, vêtu de son uniforme de travail, provoque son petit effet. Le silence règne de nouveau, tous sont pendus à ses lèvres. « Il fallait commencer par nettoyer le local technique. Comme ça n’a pas été fait les toxines se propagent ». Les travaux de décontamination ne vont pas suffire car » il est impossible de nettoyer les gaines qui n’ont jamais été nettoyées depuis la construction de l’hôpital il y a 30 ans. Il faut les changer ».
Procéder par étapes
» On ne veut pas évacuer d’un coup, c’est ce qui effraie « , renchérit Mona Hedreville, » on souhaiterait procéder de manière méthodologique« . Là, les esprits s’échauffent. Il faut proposer des idées, c’est tout l’objectif de cette réunion. Le centre gérontologique du Raizet est idéal car, « les chambres sont grandes et dédoublables « . Dans le public, les langues se délient. De plus en plus nombreux à assister aux réunions du collectif, ceux qui jusqu’alors se faisaient discrets, parlent. » Que va-t-on faire de la pharmacie ? « lance une première. À la seconde de renchérir : « Et le centre d’hémodialyse ? » Le changement se fera « petit à petit « , à condition que tous se mobilisent.
» IL Y A AGGRAVATION DE LA CRISE «
Malaises, nausées, troubles neurologiques. Plusieurs médecins du CHU présentent ces symptômes. Mona Hedreville, cardiologue au CHU dénonce la mauvaise gestion de la crise et demande la délocalisation totale des services.
Interrogée le 7 mars, à l’issue de la réunion d’un conseil de surveillance élargi du CHU de Guadeloupe, le Dr Hedreville partage son constat.
Le CHU est-il en si mauvais état ? Dr Mona Hedreville : Voyez vous-même. Aujourd’hui, il y a de nouveaux cas d’émanations toxiques avec des effets médicaux indésirables sur le personnel médical. Le service médecine est fermé depuis une semaine, à cause des malaises et des troubles neurologiques chez plusieurs médecins, une infirmière, une secrétaire. Sur ces personnes des lésions cérébrales ont été constatées par un examen IRM. Les médecins sont en arrêt de travail. Les patients hospitalisés ont été dispatchés dans d’autres services. Il n’y a toujours pas de bloc opératoire. Les deux unités hi-tech annoncées sont arrivées vides. Il a été signalé que l’installation n’a pas été autorisée. Le laboratoire qui soi-disant avait été décontaminé est à nouveau hors service. Les agents ont des vomissements, des nausées, des troubles de l’équilibre, des prurits (démangeaisons), des lésions cutanées, des signes neurologiques, des malaises, des pertes de connaissance. Des moisissures prolifèrent dans les zones humides (salles de bains). Les patients ne peuvent pas se doucher en neurologie.
Quels sont les besoins réels de l’établissement ? Pour continuer à soigner dans cet établissement en respectant l’art 71 du Code de déontologie, le médecin doit disposer de locaux adéquats. Le médecin doit veiller à la décontamination du matériel utilisé. Il ne doit pas exercer dans des conditions qui peuvent compromettre la qualité et la sécurité des soins. Aujourd’hui, les conditions auxquelles nous sommes confrontés ne nous permettent d’accomplir notre mission dans un cadre protecteur à la fois pour le patient et pour le personnel.
Pour qualifier les malaises du personnel, votre directeur Pierre Thépot évoque un syndrome collectif inexpliqué. Qu’en pensez-vous ?
Ce concept ne cadre pas avec notre situation. Il existe des éléments scientifiques avec des pathologies réelles chez le personnel. On aurait pu parler de ce syndrome si on avait au préalable procédé à la décontamination du bâtiment et sa remise aux normes. Au lieu de cela, ils ont entamé un nettoyage sur un site occupé par le personnel. Le préalable requis n’a pas été réalisé. Quant aux résultats des examens commandés sur la contamination de l’air et des bâtiments, ils sont irrecevables. Ils viennent d’Angleterre. Ils n’ont pas été réalisés dans les règles de l’art. Les résultats n’indiquent ni le préleveur ni les lieux de prélèvement. De surcroît, tout est rédigé en anglais. Ce qui est contraire à la loi. Le directeur a présenté ces résultats à la presse avant de les communiquer au Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). Un comble.
Pensez-vous que cette crise sanitaire a généré un surplus de mortalité ?
Nous avons clairement l’impression qu’il y a une surmortalité. Nous ne l’avons pas encore mesurée. Il nous faut établir de façon indubitable les liens de cause à effet. Chaque médecin dans son service à des indications précises. Au-delà de ces cas qui peuvent être identifiés, il y a tous les patients chroniques qui ont souffert de la discontinuité des filières de prises en charge.
En tant que médecin que demandez-vous ?
Nous sommes dans une crise d’urgence sanitaire. Cela fait trois mois. C’est long. Il y a une acutisation (aggravation) de la crise, liée à l’exposition avérée du personnel soignant et des patients depuis la réintégration dans les locaux du CHU. Nous demandons une délocalisation des services, le temps de décontaminer les bâtiments, les mettre aux normes, faire les choses dans les règles.
Vous avez dit que la Guadeloupe est un lieu expérimental. Qu’entendez-vous par là ?
(IGH) avec évacuation totale, c’est une première. Le déploiement de l’Escrim sur un territoire français également. Les circonstances du déploiement aussi. Jusque-là, l’Escrim n’était intervenu qu’en cas de guerre ou en cas de catastrophe naturelle. La durée d’installation est elle aussi exceptionnelle. La réouverture d’un hôpital qui reçoit un public fragile sans le préalable requis, à savoir nettoyage industriel en profondeur, décontamination des murs, des surfaces, des lits, la décontamination du réseau aéraulique. Tout cela ne s’était jamais vu. Exceptionnel encore, l’étage technique d’où est parti le feu n’a toujours pas été nettoyé. La compagnie d’assurance s’y oppose. Or, l’étage technique c’est le poumon du CHU. Exceptionnel toujours, la lenteur des réactions à l’égard de cette catastrophe liée à un manque de prévoyance et à l’absence du respect des normes de sécurité et aussi à une communication médiocre.
Est-il vrai que les médecins s’en vont ?
Quelques médecins ont donné leur lettre de démission. D’autres ont annoncé leur intention de démissionner. Les internes sont désemparés. Leur formation est mise à mal. Qu’est-ce qui vous a poussé à sortir de votre réserve ? En tant que médecin praticien hospitalier, je me suis rendue compte que nous allions droit dans le mur. Nous sommes quelques médecins à avoir compris que nous étions dans l’obligation de dire stop face à ce mur d’incompréhension et d’obstination. Je me suis interrogée sur la qualification du plan qui nous est proposé. Ce n’est ni un plan blanc, ni un plan blanc élargi. C’est un plan inédit ou un plan réel inavoué. Le système de santé en France est malade Les professionnels de santé aussi. Ces derniers s’inquiètent de la politique mise en œuvre. Elle privilégie la rentabilité au détriment de la santé et de l’être humain. Trente-quatre urgentistes réunionnais ont démissionné récemment à cause des difficultés auxquelles ils ont été confrontés. Dans l’Hexagone des maires ont remis leur démission au préfet. Ils protestaient contre la fermeture d’un service d’urgence. En Guadeloupe la problématique des moyens est encore plus aiguë. Il ne s’agit pas d’affoler la population. Il s’agit de faire valoir un principe de réalité et un principe de précaution. La Guadeloupe est un archipel soumis aux aléas climatiques, volcaniques et sismiques. Il nous faut un dispositif et une politique de santé adaptés à notre réalité. Nous devons redessiner la carte sanitaire en utilisant les structures qui existent et obtenir les moyens qui correspondent à cette situation exceptionnelle et aux enjeux de santé publique.
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