Mercredi 14 février 2024, la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale examine la proposition de loi visant à reconnaître la responsabilité de l’État et à indemniser les victimes du chlordécone dont le rapporteur est le député Guadeloupe Élie Califer.

Élie Califer, député apparenté socialiste de Guadeloupe a obtenu le 14 février en commission des affaires sociales, que l’Assemblée nationale examine une proposition, qui inscrirait dans la loi, que la République française reconnaît sa responsabilité dans les préjudices sanitaires écologiques et économique causés par l’utilisation du chlordécone en Martinique et en Guadeloupe.

Son objectif : « la dépollution des terres » et « l’indemnisation des victimes ». Le texte de loi sera débattu le 29 février prochain à l’Assemblée nationale, lors de la journée réservée aux propositions socialistes.

La majorité présidentielle critique le caractère symbolique de la proposition de loi. Plusieurs députés ont proposé des amendements destinés à nuancer la responsabilité de l’État, l’Assemblée nationale avec le soutien des oppositions a donné un premier feu vert à cette proposition de loi.

Le chlordécone, a eu des effets dévastateurs sur la santé des Guadeloupéens et des Martiniquais. Ces deux territoires connaissent entre autres le taux le plus élevé des cancers de la prostate dans le monde.

Les juges d’instruction du pôle santé du tribunal judiciaire de Paris tout en reconnaissant un scandale sanitaire avaient prononcé début 2023 un non-lieu dans l’enquête sur l’empoisonnement des Antilles à la chlordécone, ouverte en 2008. Une façon d’absoudre toute responsabilité dans ce désastre sanitaire et environnemental y compris celle de l’État.

Pour motiver leur non-lieu, les juges avaient exposé que les connaissances scientifiques de l’époque ne permettaient pas de conclure au caractère cancérigène du chlordécone. Une affirmation qu’avait déjà assénée Emmanuel Macron lors de son passage en Martinique en 2018. « L’état des connaissances scientifiques (…) ne permet pas de certifier » la dangerosité de la molécule pour la santé humaine, bien que l’on « présume le lien avec les naissances prématurées, les retards de développement cérébral et d’autres pathologies », avait déclaré le chef de l’État.

Or, Anne-Laure Barral, journaliste membre de la cellule investigation de France inter, au bout d’une enquête fouillée, révélait le 21 avril 2023 que les experts et donc l’État français étaient informés du caractère cancérigène du chlordécone dès 1981.

La commission d’enquête sur le chlordécone présidée par serge Letchimy en 2019 avait constaté lors des auditions qu’elle avait menées, que de nombreuses archives sur le sujet avaient opportunément disparu. Au rang d’entre elles, figure celle de 1981 qui porte sur la réunion de la commission des toxiques concernant le Curlone, nom commercial du pesticide à base de chlordécone. Anne Laure Barral n’a pas retrouvé cette archive. Elle reste introuvable.

Mais elle a recueilli un témoignage qui contredit les juges d’instruction et Emmanuel Macron. Celui d’Isabelle Plaisant, ancienne membre de cette commission : « Le président de la commission, le professeur René Truhaut est venu nous voir pour nous alerter sur le fait que l’Organisation mondiale de la santé venait de classer le chlordécone comme cancérigène possible pour l’homme « , a confié Isabelle Plaisant.

Selon elle, le professeur René Truhaut, pionnier de la cancérologie française, était à l’époque une sommité dans le domaine de la toxicité. Il avait participé au panel d’experts de l’OMS. Dès 1979, le Centre international de recherche sur le cancer avait classé le chlordécone comme cancérigène possible pour l’homme, lui faisant courir un risque sanitaire lié au cancer. Isabelle Plaisant certifie en outre qu’à cette commission des toxiques, siégeaient des lobbyistes des pesticides. Et en grand nombre.

Plus grave, contrairement à ce qui est écrit au Journal officiel, selon le témoignage d’Isabelle Plaisant, ce sont les lobbyistes qui ont fait pencher la décision d’autoriser le Curlone produit actif du chlordécone.

Rappelons que le chlordécone, pesticide répandu dans les bananeraies pour lutter contre le charançon, a été interdit aux États-Unis dès 1975, mais autorisé en France de 1972 à 1990, et prolongé en 1993 en Guadeloupe et Martinique, où il a bénéficié d’une dérogation.

L’initiative portée par Élie Califer et les socialistes pour faire adopter une loi qui reconnaîtrait la responsabilité de l’État dans le scandale du chlordécone aux Antilles prend donc tout son sens. D’ailleurs, « L’État doit prendre sa part de responsabilité » dans la pollution au chlordécone aux Antilles et « avancer sur le chemin de la réparation » avait annoncé Emmanuel Macron le 27 septembre 2018 en Martinique.

Six ans plus tard, les indemnisations promises par L’État aux victimes du chlordécone se font au compte-gouttes et rencontrent de nombreuses difficultés. Des indemnisations ont été obtenues via un fonds de soutien créé par l’État. Selon Philippe Vigier ex-ministre délégué aux outremers « 150 dossiers ont été reçus, 80 d’entre eux ont donné lieu à un accord fin novembre 2023, et d’autres réponses sont en cours d’instruction ».

Ce ratio est jugé dérisoire par les auteurs de la proposition de loi sur la responsabilité de l’État, alors que « 77 % des 12 700 travailleurs de la banane aux Antilles ont été possiblement exposés ». Les socialistes déplorent des « critères complexes et restrictifs ». Jean-Marie Nomertin secrétaire général de la CGT Guadeloupe enfonce le clou : « Les victimes sont confrontées à des difficultés pour accéder à une indemnisation adéquate et la lenteur des procédures témoignent de la réticence de l’État français à reconnaître sa responsabilité et à prendre en charge les conséquences du scandale du chlordécone aux Antilles françaises », a-t-il déploré.

Quant à Me Christophe Leguevaques avocat de plusieurs associations de victimes (Cran, Vivre et collectif Lyannaj pou dépolyé Matinik), il maintient que le fonds de soutien ne « marche pas bien et n’est pas très généreux. L’État n’a jamais fait ce qu’il fallait et il continue à faire semblant », déplore-t-il.

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