C’est peut-être la réunion de la dernière chance. Dans un communiqué publié mardi 19 mars, le préfet invite « en lien avec le président de Région et du président du conseil départemental, les représentants des différentes parties prenantes à participer à une réunion le jeudi 21 mars matin à Saint-Claude ». Ce, afin de trouver une issue au conflit qui oppose le Kolèktif des planteurs de canne-à-sucre au directeur de l’usine Gardel et de faire démarrer la campagne sucrière 2024.
Plus avant, une réunion des protagonistes de la récolte sucrière programmée à la chambre d’agriculture à Baie-Mahault le vendredi 15 mars avait fait chou blanc. Ni le préfet, ni les présidents du conseil départemental et du conseil régional pourtant conviés, n’avaient fait le déplacement.
Du coup, lundi 18 mars 180 planteurs du Kolèktif se sont rassemblés dès quatre heures du matin devant l’usine de Gardel. Des tracteurs et des camions barraient l’entrée de l’usine. « Ce ne sont pas nos engins mais ceux de Gardel » tient à préciser un des planteurs la mine renfrognée.
Dans le petit groupe qui s’est formé autour d’un leader syndical les visages sont tendus. La colère est sourde et palpable. « Nous sommes venus confirmer ici qu’aucune canne ne sera livrée à Gardel tant que l’usinier n’aura pas reconsidéré les conditions actuelles de sa rémunération », assène Jean, planteur d’une quarantaine d’années qui a du mal à se tenir en place. Il répète en boucle qu’il est excédé par tant de cupidité de la part des dirigeants de Gardel.
À ses côtés, un autre planteur guère plus âgé livre son analyse : « Ils agissent de la sorte parce qu’ils nous prennent pour des imbéciles à qui on peut faire avaler n’importe quoi ».
Plus d’un mois que le bras de fer dure entre d’un côté le Kolèktif des planteurs qui réunit la coordination rurale, le syndicat des exploitants agricoles familiaux, le Kolèktif des agriculteurs, l’Union pour le développement cannier et agricole de Guadeloupe et les Jeunes agriculteurs. Et de l’autre, Nicolas Philippot le directeur de l’usine Gardel. Les planteurs du KolèKtif refusent de couper et de livrer leur canne.
Du coup, Ils bloquent le démarrage de la récolte sucrière 2024. Les planteurs veulent être payés 120 euros la tonne, sans condition de richesse. En deçà de ce prix, ils considèrent qu’ils travaillent à perte.
Perte de confiance
Plusieurs réunions ont été organisées y compris avec les présidents des deux assemblées et le préfet dans le but de trouver un compromis. En vain. Le communiqué du 14 mars signé du préfet, du président du conseil régional et du président du conseil départemental dans lequel ces trois administrations « souhaitent rappeler la nécessité économique du démarrage sans délai de la campagne de coupe de la canne » a jeté un froid chez les planteurs du Kolèktif. Pour eux aucun doute, l’État, la Région et le Département penchent très fort du côté de l’usinier.
Rony Crane secrétaire général de Coordination rurale (CR) membre du Kolèktif s’insurge : « Le préfet nous a déjà fait le coup l’an dernier. Nous avons accepté de démarrer la récolte au 14 avril parce qu’il nous avait promis qu’un travail sur la revalorisation du coût de la tonne de canne était en cours. L’usinier et l’UPG devaient rendre un rapport le 23 septembre 2023, puis la date du 31 décembre 2023 a été annoncée. L’UPG nous a dit que Gardel ne leur avait pas transmis les éléments. Maintenant le préfet nous dit ayez confiance ce sera en juin 2024. Eh bien non. Nous avons déjà donné. Nous ne voulons plus de promesses. »
Les planteurs sont convaincus que dans ce rapport de force, ils disposent de quelques atouts : « Les planteurs sont de plus en plus nombreux à nous rejoindre d’ailleurs aucun d’entre eux, même ceux qui ne nous soutiennent pas n’ont coupé leur canne. Nous représentons maintenant près de 200°000 tonnes de cannes soit la moitié de la production. Gardel ne peut se passer de ce tonnage. Nous ne céderons pas », martèle Rony Crane.
Eugène Mardivirin reste sur le même ton. Selon lui « Pour Gardel c’est seulement cinq euros de plus par tonne. Ce qui représente quatre millions d’euros et non huit comme l’ont déclaré les dirigeants de Gardel. Ce qui veut dire que l’usinier peut très bien accéder à notre revendication et faire encore des bénéfices », explique-t-il.
Et quand on leur fait remarquer que l’UPG, Iguacanne, Sicadec et Sicagua sont pour le démarrage de la récolte Rony Crane se fait cinglant : « Bandou (président de l’UPG) n’a pas une seule canne plantée. Il plante des cocotiers. Quant à Bruno Wachter (président de Iguacanne), il a des liens de famille avec le directeur de Gardel ».
« Si les dirigeants de Gardel ne sont pas contents. Qu’ils partent. »
Rony Crane, Coordination rurale
Rony Crane avance un autre élément. Il explique que Gardel vend sa mélasse et son alcool pur à la SA Cosset, l’un des principaux actionnaires de Gardel à un prix dérisoire. Autrement dit, s’il vendait au juste prix il pourrait mieux rémunérer les planteurs. « C’est l’actionnaire qui doit réaliser des profits. Sur notre dos. Gardel se charge d‘empocher les subventions de l’État. C’est un petit numéro bien rodé », insiste Rony Crane.
Le calcul du taux de richesse est une autre pomme de discorde. Dessus, les planteurs sont intarissables. Ils remettent en cause le calcul des taux de sucre réalisés par le CTCS. « C’est nous qui payons les tests. Mais c’est Gardel qui sort la feuille des résultats et nous les présente. Qui contrôle ? En tout cas pas nous et ce n’est pas normal », s’indigne Yannick Kinder, président des Jeunes agriculteurs.
Le leader syndical est formel. Les mesures faites par le CTCS ne sont pas fiables. « La méthodologie doit être modifiée. Le matériel avec lequel travaille le CTCS est obsolète. Il date des années soixante. Beaucoup d’échantillons de canne ne sont pas testés, pour ceux-là, on nous sort des taux de saccharine aléatoires ».
Le préfet et les collectivités qui ont repris l’initiative dans cette affaire vont-ils pouvoir dénouer ce conflit ? Pour l’heure les planteurs du Kolèktif ne sont pas disposés à lâcher le morceau. « Nous préférons perdre cette récolte » prévient Rony Crane. « Si les dirigeants de Gardel ne sont pas contents. Qu’ils partent. Nous allons nous occuper de l’usine et vendre l’alcool et la mélasse à son juste prix pour commencer », menace le syndicaliste.
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