Le verdict du tribunal correctionnel de Basse-Terre, rendu ce 22 novembre, marque une reconnaissance officielle des manquements graves dans la gestion de l’assainissement en Guadeloupe. La Communauté d’agglomération Grand Sud Caraïbe (CAGSC) a été condamnée pour pollution maritime après que la station d’épuration de Capesterre-Belle-Eau a déversé des substances toxiques dans l’océan selon les faits jugés entre 2018 et 2021. La décision pénale fait notamment référence à des « jet, déversement ou écoulement de substance nuisible dans les eaux souterraines, superficielles ou de la mer ayant des effets nuisibles sur la santé, la flore ou la faune ». Cette décision pénale met en lumière des années d’abandon et un système défaillant, tout en laissant des questions en suspens.
Une amende sans conséquences directes
La CAGSC a écopé d’une amende de 375 000 euros avec sursis, qu’elle n’aura pas à payer, mais devra afficher le jugement dans ses locaux. Cette sanction, largement symbolique, reflète selon le tribunal une prise en compte des « contraintes budgétaires » de la collectivité et de l’impact qu’un paiement aurait sur les habitants. Pour les plaignants – deux citoyens, Alain Niberon et Louis-Noël Vial, ainsi que l’Association pour la protection des animaux sauvages (ASPAS) – ce jugement est une victoire partielle. Le tribunal a ordonné un renvoi sur les intérêts civils, à examiner en avril 2025.
Thierry Abelli, président de la CAGSC, a reconnu les faits lors de l’audience :
« Nous ne sommes désormais plus compétents pour la gestion de l’assainissement », a-t-il précisé, tout en soulignant que les finances exsangues de la collectivité rendent toute sanction lourde impossible.
Un désastre sous le radar
Construite en 2013 pour un coût de 13 millions d’euros sous la présidence de Lucette Michaux-Chevry, la station d’épuration de Capesterre-Belle-Eau n’a jamais fonctionné correctement. Elle devait traiter les eaux usées des 16 000 habitants de la commune, mais est rapidement devenue un « bassin à moustiques », selon des riverains. Les eaux polluées qu’elle recueillait étaient directement déversées dans l’océan. En dépit d’une mise en demeure préfectorale dès novembre 2018, aucune mesure corrective n’a été prise.
Cette situation n’est pas isolée : sur les 18 grandes stations d’épuration de la Guadeloupe, 13 sont hors service ou dysfonctionnelles, selon un rapport de la Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Deal) publié en mai 2022. Ces infrastructures, censées empêcher la pollution des eaux, laissent régulièrement des plages contaminées par des bactéries fécales. Une plage sur cinq est interdite ou déconseillée à la baignade chaque année. L’Agence régionale de santé (ARS) relève des niveaux de contamination à l’Escherichia coli – le signe d’une contamination fécale – parfois cinq fois supérieurs aux seuils autorisés.
Des solutions qui tardent
Si la responsabilité directe de la pollution incombe à la CAGSC, la gestion des infrastructures a été transférée en 2021 au Syndicat mixte de gestion de l’eau et de l’assainissement de la Guadeloupe (SMGEAG). Ce dernier a inscrit 4 millions d’euros à son programme d’investissement 2023-2024 pour réhabiliter la station de Capesterre-Belle-Eau. Mais les programmes restent insuffisamment mis en œuvre au regard de l’ampleur des travaux nécessaires dans tout l’archipel.
L’Office de l’eau rapporte que depuis 2018, seules 15 mini-stations ont été réhabilitées, et 11 autres sont en cours de travaux. Ces efforts représentent une capacité de traitement supplémentaire équivalente à la charge polluante de 8 500 habitants, une goutte d’eau dans un océan d’excréments.
Les compétences concernant l’assainissement relèvent des collectivités locales et leurs groupements (ici il s’agissait de la communauté d’agglomération Grand Sud Caraïbe puis depuis 2021, le SMGEAG), quand la sécurité sanitaire est du ressort de l’État. Entre les défaillances des collectivités locales et l’absence de contrôles rigoureux par l’État, le pilotage stratégique et coordonné des infrastructures vitales est aux abonnés absents. « Cette décision nous rappelle l’importance d’une gestion rigoureuse et d’un suivi scrupuleux des dossiers hérités du passé », a déclaré Thierry Abelli, tout en appelant à une « mobilisation collective » pour éviter que de tels désastres ne se reproduisent.
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