À la tribune du Sénat mercredi 1er décembre, le ministre des Outre-mer Sébastien Lecornu voit dans les propos d'Ary Chalus qui soutient que "ce sont les Guadeloupéens qui doivent décider pour la Guadeloupe et pas les députés et les sénateurs à Paris" une remise en cause du statut juridique du département où la loi de la République à vocation à s'appliquer. "Adapter n'est pas différencier" soutient le ministre pour qui "adapter une loi qui s'applique à des fonctionnaires hospitaliers relève de l'autonomie".

Investir plus dans la santé, accélérer sur l’eau, agir enfin contre la vie chère, former les jeunes, loger les aînés… Les sénateurs ont multiplié les critiques contre la politique du gouvernement en Outre-mer. Et surtout en Guadeloupe.

 » Le ministre des Outre-mer a ouvert un cycle de discussions avec les élus de Guadeloupe et de Martinique sur les sujets économiques et sociaux. Et il retournera bientôt les voir « , a excusé ce mercredi 1er décembre, au Sénat, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin. Il répondait à la place du ministre des Outre-mer à une question d’actualité d’un sénateur Les Républicains (LR). « Sébastien Lecornu discute en ce moment avec les élus de Guadeloupe et de Martinique et le Premier ministre en visio « , a-t-il rajouté. Quelques instants plus tard, Sébastien Lecornu arrivait dans l’hémicycle. Il a dû répondre à une salve de questions de dix sénateurs de tous bords sur la situation économique, sociale et sanitaire en Outre-mer. Elles portaient presque toutes sur la Guadeloupe, et toutes ou presque étaient aussi sévères les unes que les autres.

« Production et mesures fiscales »

La sénatrice centriste Jocelyne Guidel a dénoncé  » l’incapacité du gouvernement à trouver des solutions. Elle a réclamé un plan pluriannuel pour un Ségur Outre-mer, un nouveau modèle de développement fondé sur la production et des mesures fiscales « . Victoire Jasmin émue, a lancé un appel à la paix. Avant de dénoncer la non-adaptation des politiques publiques à l’insularité. À un rythme plus que soutenu, la sénatrice PS de Guadeloupe a dressé un panorama négatif de la Guadeloupe. Elle a décrit  » une crise sociale accentuée par la pandémie, les conditions de vie précaires subies par beaucoup de Guadeloupéens, le besoin de formation professionnelle ou de moyens pour les lycées agricoles « . Elle a réclamé du doigté à propos des  » fermetures de classes. Elle veut également faire du retour des natifs une priorité ». Elle a aussi dénoncé l’effet ciseau des prix des produits agroalimentaires, 50 à 60 % plus chers en Guadeloupe que dans l’Hexagone, pour des revenus faibles, de 38 % inférieurs en moyenne. Elle a encore rappelé que 30 % de la population ont moins de 850 € pour vivre et que les pauvres sont 135 000 en Guadeloupe. Au rayon de la vie chère, Victoire Jasmin a dénoncé la hausse des carburants, des produits intégrés au bouclier qualité prix (BQP) qui ne répondent pas aux besoins, un jeu concurrentiel faible et des circuits d’approvisionnement onéreux. Pressée de conclure par la présidente, elle a encore demandé une vigilance accrue sur la situation sociale des jeunes, l’intégration des jeunes handicapés, et leur épanouissement culturel et sportif. Viviane Malet (LR) a choisi d’insister sur le vieillissement de la population et la question du logement. Elle a demandé au gouvernement de reprendre à l’Assemblée, dans le prochain projet de loi dit 3DS, son amendement qu’il avait rejeté au Sénat, visant à lever des verrous au logement Outre-mer. Sébastien Lecornu a pris note. Jugeant légitime que le gouvernement rétablisse l’ordre en Guadeloupe après plusieurs jours de troubles et d’usage d’armes à feu, l’écologiste Guillaume Gontard a dressé, sur la question de l’eau, le constat sidérant d’une catastrophe sociale ajoutée à une catastrophe écologique. « Sur le problème de l’eau il faut aller plus vite » a-t-il houspillé le ministre. Il faut un plan Marshall pour l’eau en Guadeloupe, a-t-il insisté. Rentré deux jours plus tôt des Antilles, le communiste Fabien Gay a déploré que le test du chlordécone ne soit pas gratuit pour tous. Il demande au ministre de passer à la vitesse supérieure sur la transparence des marges des grands groupes monopolistiques. Fabien Gay réclame le blocage des prix sur les produits de première nécessité. « Les investissements Outre-mer liés au Ségur de la santé doivent être accélérés » a ajouté la socialiste Viviane Artigalas. Tandis qu’Agnès Canayer (LR) suggérait le vote annuel d’une loi d’adaptation du droit aux Outre-mer.

« Réveil de voyous »

Sébastien Lecornu a répondu en distinguant les situations en Martinique et en Guadeloupe. Le ministre a qualifié les événements de Guadeloupe de crise de l’ordre public et de la sécurité publique. Il y voit un réveil de voyous, de grande tradition. Car selon lui « la Guadeloupe a une tradition de trafic de drogue et de détention d’armes (…) Des individus ont profité de la situation pour commettre des violences inédites sur les policiers et gendarmes« , a-t-il dit. Les policiers du Raid ont pu témoigner, selon le ministre, que jamais ils n’avaient été confrontés à de telles violences. De quoi justifier, à ses yeux, l’envoi de renforts du GIGN et du Raid, critiqué par les oppositions de gauche. Pour Sébastien Lecornu, la deuxième crise est une crise sociale au sein des hôpitaux et du monde médico-social. Qui mérite de l’État employeur un dialogue social exemplaire… d’autant plus facile à réclamer, pour le ministre des Outre-mer, que ce n’est pas à lui mais à son collègue ministre de la Santé, Olivier Véran, de le mener. Quant à la  » troisième crise, démocratique et principielle, elle porte sur la loi de sécurité sanitaire et un problème démocratique majeur « , estime le ministre. Là, il fait la différence entre la Martinique,  » où les élus ont dit qu’ils n’arrivent pas à appliquer la loi », mais où un accord de méthode a été trouvé entre élus et l’État, et la Guadeloupe. Où  » des élus de premier plan, parlementaires ou qui ont pu l’être  » – la formule vise a priori Ary Chalus, président de région et seul ancien député –  » ne veulent pas l’appliquer « . Or pour Sébastien Lecornu,  » c’est un département de la République, où la loi à vocation à s’appliquer. Sinon, il faut l’adapter « . Et pour le ministre, adapter une loi de sécurité sanitaire, c’est changer de modèle.  » C’est là où j’ai dit : Soyez franc, si vous voulez une adaptation, dites-le ! » Certains ont pu alors vouloir  » entretenir la confusion entre autonomie et indépendance, fait-il observer. Puis le LKP est venu avec deux préalables, en disant que la loi sur l’obligation vaccinale des soignants doit être abrogée, et en demandant la suppression des poursuites pour ceux qui avaient ouvert le feu sur les policiers et gendarmes. Vous comprenez que j’y ai mis fin « .

« Une grave erreur politique »

Quelques minutes plus tard, la sénatrice PS des Hautes Pyrénées Viviane Artigalas a posé une question, au nom de son collègue guadeloupéen Victorin Lurel. « Nous ne serons jamais de ceux qui contestent votre fermeté face aux demandes d’amnisties des délinquants ou volonté de rétablir l’ordre, dit l’ancien ministre de François Hollande. Pour autant, le choix délibéré par le ministre d’une visite express, d’une symbolique militaire et d’une posture martiale et autoritariste est une grave erreur politique. Cela a braqué, choqué et a légitimé l’action politique de ceux qui ne sont pas là pour discuter« . Victorin Lurel juge aussi maladroit de dire que  » tous les problèmes ne relèveraient que de compétences locales, une défausse qui ne pouvait que tendre le dialogue, y compris avec vos alliés politiques locaux et membres de votre majorité « . Il déplore que par ses excès ce malheureux épisode n’ait fait que renforcer la stratégie de pourrissement voulue par certains. Et demande dans quels délais, sous quel format, avec quels experts, quels collègues et quelle volonté reviendrez-vous en Guadeloupe pour non pas renouer mais bel et bien nouer le dialogue et éviter la montée aux extrêmes et les morts ? Sébastien Lecornu lui a répondu qu’il ne s’était pas précipité  » pour ne pas gêner les forces de l’ordre, mais aussi pour laisser sa chance au dialogue local, ce qui a marché en Martinique « . Sur la symbolique martiale, il a « juste dormi au SMA, un régiment de soutien aux jeunes qui dépend de mon ministère « . Il a quand même répété que l’eau était de la compétence des communes  » depuis Mathusalem « . Et critiqué la politique de la chaise vide des grands élus de Guadeloupe. En revanche, il n’a pas répondu à la conclusion de Victorin Lurel, pourtant en forme d’accusation : «  Cette crise ne doit pas devenir une occasion d’envenimer le débat pour plaire à une frange radicalisée de l’opinion publique hexagonale en période de précampagne présidentielle ». En position inconfortable, le ministre des Outre-mer qui avait déjà formulé le vœu pour qu’on puisse en Guadeloupe reprendre très vite le chemin du dialogue a répété être disponible pour avancer pour la Guadeloupe.

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