Comité technique Safer qui statue sur l’attribution des terrains agricoles, ici réunion de juin 2024. Photo : Safer Guadeloupe

Dans ce deuxième volet de l’enquête consacrée à la Safer, Le Courrier de Guadeloupe publie des échanges de correspondance autour de la parcelle AE 191, pièces maîtresses du contentieux qui oppose Cyrille Moutoussamy et la Safer. Ces correspondances intriguent par leurs contenus et leurs circonstances, renforçant le sentiment d’une gestion opaque, voire de manœuvres délibérées de la part de la Safer. L’existence de ces documents met en question la gouvernance de l’institution.

Le litige entre Cyrille Moutoussamy et la Safer Guadeloupe concerne l’attribution de la parcelle agricole AE 191, située à Durival, Le Moule. Cette affaire complexe a pour toile de fond la candidature de ce jeune agriculteur. Initialement acceptée, elle a été rejetée lors d’un second comité technique Safer. Ce rejet s’appuie sur l’argument selon lequel Monsieur Moutoussamy disposerait déjà d’une superficie suffisante pour mener à bien son projet agricole.

Extrait du PV de comité technique de la Safer qui se prononce initialement pour l’installation de l’agriculteur ensuite évincé.

Le rôle des comités techniques Safer

Les comités techniques départementaux, composés de représentants de l’État, d’élus locaux, de syndicats agricoles et d’experts, sont chargés de statuer sur l’attribution des terrains agricoles (comme sur la photo ci-dessus prise en juin 2024). Lors du comité d’août 2021, le PDG de la Safer, Rodrigue Trèfle (en chemise rayée verte sur la photo ci-dessus), a rappelé que ces comités n’émettent qu’un avis consultatif. « Aucune attribution n’est effective en l’absence de notification du PDG », a-t-il affirmé.

Au cours de cette réunion, il a été question de la parcelle AE 553, située à Blanchet, Le Moule. Cette parcelle, jusque-là occupée illégalement par la famille Machecler, aurait selon la Safer été libérée grâce à un protocole signé entre l’institution et Jean-Claude Machecler.

Les courriers controversés de Jean-Claude Machecler

Deux lettres manuscrites attribuées à Jean-Claude Machecler, datées des 8 et 9 juillet 2021, ont été présentées au comité. Dans la première, Monsieur Machecler affirme avoir libéré les parcelles AE 552 et AE 553 après un accord avec la Safer, en échange d’une régularisation sur d’autres parcelles qu’il occupe. Il y évoque également une rencontre avec Cyrille Moutoussamy, qui aurait proposé de l’indemniser pour la canne qu’il avait plantée.

La deuxième lettre, encore plus troublante, fait état d’échanges avec Monsieur Moutoussamy, qui lui aurait demandé de rester sur la parcelle AE 553, tout en lui proposant de planter et de s’occuper des raccordements à l’eau agricole. Contacté par téléphone, Cyrille Moutoussamy dément catégoriquement avoir rencontré ou même aperçu Jean-Claude Machecler.

Lettre imputée par la Safer à Monsieur Machecler, ce que dément un proche qui en conteste l’authenticité.

Une écriture contestée

Un proche de Jean-Claude Machecler, ayant requis l’anonymat, affirme au Courrier de Guadeloupe que ces lettres ne correspondent pas à l’écriture de Monsieur Machecler. « Il ne maîtrise pas un tel vocabulaire. Je sais par ailleurs qu’à cette période, il est allé plusieurs fois à la Safer. Je ne serais pas étonné qu’on lui ait fabriqué ce courrier », a-t-il précisé.

Un élément vient appuyer cette hypothèse : un mail daté du 8 juillet 2021, envoyé par Hugo Mestre, alors chargé de mission à la Safer. Le message, adressé à Jean-Claude Machecler, contenait en pièce jointe une lettre à déposer à la Chambre d’agriculture. « Monsieur Machecler, Veuillez trouver en pièce-jointe la lettre à déposer à la Chambre rapidement. Je vous appelle dans quelques minutes, cordialement » avait signé Hugo Mestre. Le PDG de la Safer, Rodrigue Trèfle, était en copie de cet envoi. Ce courrier, version très proche de la lettre manuscrite attribuée à Monsieur Machecler, confirme l’implication directe de la Safer.

L’intervention de Patrick Sellin

Patrick Sellin, président de la Chambre d’agriculture, conteste les démarches de la Safer. Dans une lettre adressée à Cyrille Moutoussamy le 9 février 2022, il rappelle qu’un avis favorable avait été émis dès le 5 mai 2021 pour l’installation de Monsieur Moutoussamy sur la parcelle AE 191.

« Le comité départemental a émis un avis favorable à votre installation le 5 mai 2021 sur la parcelle cadastrée AE 191 sis au Moule […] Neuf mois se sont écoulés. Je suis fort étonné du traitement réservé à cette affaire. La Safer a soumis à nouveau l’avis au comité technique départemental du 7 juillet au prétexte qu’un accord aurait été signé par l’occupant (Ndlr Jean-Claude Machecler). Or, le 14 septembre 2021, l’huissier a constaté la présence de plusieurs occupants sur la parcelle ».

Patrick Sellin critique également le fait que la Safer ait proposé un protocole d’accord concernant la parcelle AE 553, propriété du GFA Duteau, sans en avoir la compétence. « Du point de vue institutionnel, la Safer n’est pas habilitée à proposer un protocole d’accord s’agissant d’une propriété du GFA Duteau (Ndlr la parcelle AE 355 occupée par les Machecler) dont la gérance est assurée par la Chambre d’agriculture. Cette intervention relève de la compétence du gérant » a-t-il poursuivi.

Une stratégie pour écarter un agriculteur

La Safer a-t-elle cherché à prouver que Cyrille Moutoussamy disposait déjà de suffisamment de terres, justifiant ainsi le rejet de sa candidature pour la parcelle AE 191 ? A-t-elle orchestré un stratagème autour de la libération présumée de la parcelle AE 553 ? Ce qui justifiait que sa candidature soit rejetée.

Dans le troisième volet de l’enquête consacrée à la Safer, à paraître mardi 19 novembre, Le Courrier de Guadeloupe s’intéresse à la présidence de Rodrigue Trèfle. À travers une analyse plus poussée des pratiques administratives, cette enquête continuera de questionner la transparence des décisions prises par la Safer.

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