Vendredi 1er mars 2024, des touristes désemparés s’interrogent devant les portes closes du Mémorial acte : « Pourquoi c’est fermé ? C’est fermé le vendredi ?». Photo : Le Courrier de Guadeloupe

Pointe-à-Pitre, vendredi 1er mars, onze heures. Sous un soleil éclatant, face à une mer d’azur, le Mémorial acte (Macte) exhibe sa majesté. « Le monument est magnifique », lance tout haut un touriste, en levant les yeux. A l’entrée du bâtiment, devant une grille aux trois quarts baissée, une dizaine de touristes font les cent pas. Lunettes de soleil larges et carrées sur le nez, casquette vissée sur le crâne, l’un d’eux s’étonne à voix haute : « Pourquoi c’est fermé ? C’est fermé le vendredi ? », insiste-t-il. Dans le groupe, une autre dame au chemisier chamarré de dentelles, baskets roses et jean serré, se lamente : « Ils auraient pu indiquer à l’entrée que c’est fermé. Il n’y a rien. Pas un mot ».

Tout à coup, derrière la grille, dans la cour, un homme se faufile à toute vitesse. « C’est fermé ? » lui hèle le monsieur aux lunettes. « C’est fermé toute la journée », lui répond l’homme pressé, avant de disparaître derrière une porte du bâtiment. Ce vendredi, personne ne visitera le Centre dédié à l’histoire, au patrimoine et à la mémoire de la traite négrière, de l’esclavage et de ses abolitions. Le lendemain non plus. Le Macte est fermé. Cette fois, une pancarte annonce le « Macte est exceptionnellement fermé ce samedi 2 ». Soit. Mais alors, comment qualifier la fermeture de la veille ? Et puis surtout, pourquoi ces deux fermetures ?

L’UGTG sort le jeudi 29 février un communiqué qui ouvre une piste. Le syndicat annonce que « les salariés de la société de gardiennage et de sécurité incendie EGIS affectée à la surveillance du Mémorial acte effectueront jeudi 29 février 2024 à minuit leur dernier jour de travail sur le site ». Le communiqué évoque des « dysfonctionnements de prestations, des appels d’offres pour le marché de surveillance qui sont en cours ».

Communiqué du syndicat UGTG le 29 février 2024

Mais pourquoi ce branle-bas ? Pourquoi cette valse-hésitation entre fermé et pas fermé ? Et surtout, pourquoi ne pas communiquer clairement sur une éventuelle fermeture du Mémorial ? Quelles sont les raisons de cette fermeture ? Pourquoi la directrice générale Manuella Moutou s’affole-t-elle autant ? De fait, elle est tout simplement rattrapée par la patrouille.

Il faut commencer par le début. Le procureur général près la Cour des comptes a, le 6 octobre 2023, adressé un réquisitoire au président de la chambre du contentieux de la Cour concernant les irrégularités et autres infractions perpétrées au Macte. Dans ce réquisitoire, il demande au président de la chambre du contentieux de désigner un magistrat chargé de l’instruction dans l’affaire du Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la Traite et de l’esclavage. Le 30 janvier 2024, le procureur général adresse cette fois un réquisitoire supplétif à Jean-François Guillot, magistrat chargé de l’instruction, où il lui demande d’enquêter sur des faits nouveaux.

Le procureur général près la Cour des comptes écrit : « Il ressort de la délibération du 23 octobre 2023 du conseil d’administration de Macte que l’établissement a conclu, en 2023, un protocole transactionnel avec la SARL E.G.I.S., titulaire d’un marché de gardiennage et de sécurité depuis 2016. Cette transaction à hauteur de 628 657,34 euros HT, est censée couvrir les prestations fournies par la SARL entre janvier 2023 et le 31 décembre 2023. L’instruction devra vérifier si les conditions juridiques pour la signature d’une telle transaction ont été respectées. En outre, les prestations fournies par cette société semblent se poursuivre encore en janvier 2024, donc au-delà de la limite fixée par la transaction de 2023, en dehors de tout marché ».

Le procureur général écrit encore : « Il ressort de la délibération du 23 octobre 2023 du conseil d’administration du MACTE que l’établissement public a signé, en 2023, un protocole transactionnel avec la société SAS G.E.M., titulaire d’un marché de maintenance des installations de climatisation, transaction à hauteur de 141 887,20 euros HT. Cette transaction est censée couvrir les prestations fournies par la SARL entre juillet 2022 et le 31 décembre 2023. L’instruction devra vérifier si les conditions juridiques pour la signature d’une telle transaction ont été respectées. En outre, la relation contractuelle avec la SAS G.E.M., née en 2018, semble avoir été poursuivie en 2022 et 2023 au-delà du contrat initial et de ses avenants. L’instruction vérifiera également si une première transaction signée avec la SAS le 31 mars 2022 est conforme aux exigences légales. Enfin, les prestations fournies par cette société semblent se poursuivre encore en janvier 2024, au-delà de la limite fixée par la transaction de 2023 et donc hors marché ».

Enfin, le magistrat évoque le cas de la société de nettoyage, la société PSC qui « interviendrait depuis octobre 2023 sur la base de devis trimestriels, empêchant par-là d’atteindre le seuil financier qui requerrait le lancement d’un appel d’offres. L’instruction vérifiera ce point ».

Dans son réquisitoire supplétif, le procureur général de la Cour des comptes relève que des prestataires continuent à travailler au Macte hors marché, en toute illégalité.

En résumé : le procureur général de la Cour des comptes relève que des prestataires continuent à travailler au Macte hors marché, en toute illégalité. Manuella Moutou a été nommée directrice par intérim du Mémorial Acte le 1er septembre 2023. Six mois après sa nomination, la directrice par intérim n’a toujours pas lancé les marchés et les entreprises travaillent toujours.

Pour rappel, Laurella Rinçon, précédente directrice générale du Macte, a été envoyée en correctionnelle pour infraction au Code des marchés publics sur plainte d’Ary Chalus, président du conseil d’administration du Macte. Plus inquiétant pour Manuella Moutou, le procureur général de la Cour des comptes précise aussi que « l’instruction s’intéressera à la responsabilité du dirigeant de l’établissement, même s’il est intérimaire et même s’il a été mandaté par le conseil d’administration pour engager l’établissement sur tout ou partie des transactions et contrats précités ».

L’inquiétude est telle chez Manuella Moutou, mais aussi chez Ary Chalus, que le conseil d’administration du Mémorial qui doit se tenir le mercredi 6 mars a prévu aux points 14 et 15 de son ordre du jour, de demander la protection juridique fonctionnelle pour Manuella Moutou et Ary Chalus. En clair, les administrateurs devront dire si ces deux responsables ont commis intentionnellement un acte illégal, s’ils ont commis un acte en connaissant les conséquences néfastes, ou s’ils n’ont pas respecté de façon flagrante et volontaire les obligations professionnelles ou les règles de droit.

Une décision qui n’est pas sans risque pour les membres du conseil d’administration. S’ils prennent la décision d’accorder la protection fonctionnelle de manière illégale, ils peuvent eux-mêmes faire l’objet de sanctions disciplinaires si leur action constitue une faute de service. Affaire à suivre.

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