L’ingérence de la Région détruit le Mémorial acte

La Chambre régionale des comptes (CRC) a rendu le 20 novembre un rapport cinglant sur la gestion et l’administration du Mémorial acte (Macte). Pendant une cinquantaine de pages consultables en ligne, la CRC égrène les observations qui amènent à conclure que le centre dédié à la mémoire de la Traite et de l’esclavage « ne répond pas aux ambitions de son projet initial de faire de la Guadeloupe la capitale mondiale de la recherche sur la traite négrière et l’esclavage ». Le Macte n’aurait même pas aux dires des magistrats financiers « su tisser des partenariats tant sur le plan local que national et international ».

La directrice générale Laurella Rinçon dont la révocation a été prononcée le 23 août avant qu’elle lui soit notifiée le 30 août, est épinglée. La CRC souligne qu’elle n’a pas installé le comité scientifique. Que sa gestion financière fait courir à l’établissement des risques financiers majeurs de contentieux et de fraude. Les magistrats financiers estiment aussi que le Macte accuserait un déficit de 2,5 millions d’euros. Cette lecture qui accable la directrice générale n’épuise ni le contenu ni la portée du rapport.

Dispositions statutaires non respectées

Les magistrats ont aussi harponné le conseil d’administration et partant, ses présidents successifs, Georges Brédent et Ary Chalus, mais aussi la collectivité régionale.

Ary Chalus président de Région (à g.) et Georges Brédent président du conseil d’administration du Mémorial acte (au micro) en 2019 en conseil d’administration du Macte à Pointe-à-Pitre. Photo : Région Guadeloupe

Le rapport souligne que la composition du conseil d’administration est irrégulière, que cette irrégularité expose le Macte à des risques juridiques. Les dispositions statutaires et réglementaires ne sont pas respectées. Le conseil d’administration s’est même réuni le 20 juillet 2021 avec des membres qui n’avaient pas la qualité d’administrateurs, car non élus. Ils ont voté en toute illégalité la révocation de la directrice générale et la résiliation de son contrat. Révocation et résiliation jugées illégales par le tribunal administratif de Basse-Terre qui les a annulées le 9 février 2022. De même, il n’y a aucun représentant du personnel au conseil d’administration comme le prévoient les statuts. Dysfonctionnement qui relève du président du conseil d’administration qui doit fixer l’ordre du jour des différentes réunions.

Obstruction du président

Une collaboration normale entre la direction générale et la présidence du conseil d’administration aurait garanti la programmation d’ordres du jour opérants. Or Georges Brédent puis Ary Chalus et Laurella Rinçon ont entretenu une opposition permanente. Les conseils d’administration convoqués avaient souvent comme point central d’ordre du jour, la révocation de la directrice générale.

Dans sa réponse aux observations de la CRC annexée au rapport, Laurella Rinçon pointe les conséquences sur la gouvernance : « La conduite de beaucoup de dossiers se trouve régulièrement interrompue par les procédures à répétition et autres manœuvres d’obstruction que le président du conseil d’administration n’a cessé d’engager contre la directrice générale : blocage de la finalisation du rapport d’activité, blocage de la comptabilité entraînant le non-paiement des prestataires et fournisseurs pendant quatre mois, éviction abusive de la directrice générale au moment où les marchés publics du Macte sont en passe d’être renouvelés (mars 2021 et mai 2023), refus systématique de voter ou même d’examiner les projets d’expositions prestigieuses, et les partenaires institutionnels du Macte sont contraints de patienter indéfiniment… »

Des expositions d’envergure ni validées ni financées

Sur le plan international, Laurella Rinçon met en avant ses contacts personnels avec des institutions de renom, en vue d’organiser au Macte des expositions d’envergure. La directrice évoque les projets Black indians, Présence kanak et Guillaume Guillon Lethière, mais surtout l’exposition Sahel du Metropolitan Museum de New York (MET) dont la vidéo de présentation au MET est visible ci-dessous.

Le conseil d’administration du Macte qui s’est tenu le 9 décembre 2020 (dont nous publions ci-dessous le PV), détaille en pages 11 à 13 les raisons de l’échec de la réalisation de l’exposition Sahel sur les grands empires africains avant la traite. Dans ce projet envisagé pour décembre 2020, puis décembre 2021, les 300 objets exposés au MET et qui se trouvaient déjà sur cette rive de l’Atlantique, sont repartis dans leurs musées d’origine. Laurella Rinçon explique ce raté : « L’exposition n’aurait pas pu venir tout de suite au Macte, car l’Établissement public de coopération culturelle (EPCC) n’avait pas encore reçu ses contributions à l’été 2020. L’exposition a été prolongée au MET jusqu’en octobre 2020. Mais à cette date non plus, l’EPCC Macte n’avait toujours pas les budgets nécessaires puisqu’il n’avait pas reçu sa contribution régionale. »

Memorial-acte-PV-du-conseil-dadministration-du-09-decembre-2020

Les choses semblaient pourtant bien embarquées. Mamadou Diouf, Professeur qui dirige l’institut d’études africaines de l’université de Columbia à New York, se réjouit auprès de Laurella Rinçon dans une lettre que Le Courrier de Guadeloupe a pu consulter, de contribuer à « la mise en place d’un réseau solide et étendu de collaboration institutionnelle entre le Metropolitan museum of art de New York, le musée des civilisations noires de Dakar, l’université de Columbia à New York et le Macte.

Ces projets faisaient écho à la vocation du Macte de hisser la Guadeloupe au rang de capitale mondiale de la recherche sur la traite négrière et l’esclavage. Or les rares fois où le conseil d’administration a pu en débattre, réticences et barrages ont dominé. Et les finances ont cruellement fait défaut. La directrice générale du Macte a adressé le 14 décembre 2020 au président de Région Ary Chalus un courrier que nous publions ici. Elle y liste des carences budgétaires et sollicite un retour à la norme.

Macte-courrier-L-Rincon-a-A-Chalus-retard-versement-14_12_2020

Président aux fonctions résiduelles

De fait, le Macte est à la dérive depuis sa transformation en EPCC, intervenue le 1er juillet 2019. Un statut voulu et initié par le conseil régional. Statut dont les initiateurs n’avaient vraisemblablement pas mesuré toutes les implications et qui confèrent aux directeurs généraux des EPCC des prérogatives de poids. Des prérogatives encore plus grandes lorsque l’EPCC comme c’est le cas du Macte, est un Établissement public industriel et commercial (Épic).

Les directeurs généraux des EPCC sont ordonnateurs. Ils procèdent aux recrutements lorsque l’EPCC est un Épic. L’examen des travaux préparatoires à la création des EPCC, indique la volonté du législateur. Il s’agit d’inciter les collectivités contributrices à travailler ensemble sans pour autant donner plus de pouvoirs au financeur le plus important. C’est la raison pour laquelle le directeur général est érigé en catalyseur de l’EPCC.

Dans son rapport daté du 10 juin 2010, Michel Berthod, inspecteur général des affaires culturelles confirme : « Le législateur a clairement voulu que le pouvoir d’impulsion et d’exécution appartienne au directeur. C’est pourquoi le Code général des collectivités territoriales définit précisément les compétences du conseil d’administration d’un côté, de la direction générale de l’autre, ne laissant au président du conseil d’administration que des fonctions résiduelles, toutefois un peu plus importantes dans le cas d’un Établissement public administratif (EPA) que dans celui d’un Épic ». Or, Ni Georges Brédent, ni Ary Chalus qui se sont succédé à la présidence du Macte n’entendent pas s’effacer dans le rôle résiduel prévu par la loi.

Ary Chalus deux pas en avant pour la photo savamment orchestrée au ponton du Mémorial acte à l’occasion de la commémoration de l’abolition de l’esclavage le 27 mai 2023. Le président du conseil d’administration du Macte n’entend pas s’effacer dans le rôle résiduel prévu par la loi.
Photo : Région Guadeloupe

Mainmise de la Région

La CRC relève les actes de mainmise de la Région sur le Macte : « L’ingérence de la Région méconnaît l’indépendance de l’établissement dont elle a pourtant souhaité la création. Elle s’approprie son site, par exemple à l’occasion de l’évènement de la Route du rhum et perçoit des recettes indues ».

Les magistrats financiers enfoncent le clou : « Le domaine du Macte est exploité par la Région. Les biens meubles et immeubles nécessaires à l’exercice des missions doivent, d’après les statuts être mis à la disposition de l’EPCC par la Région, dès sa création, lequel assume les obligations du propriétaire. Ainsi, tous les biens de la Sem patrimoniale auraient dû être transférés à l’EPCC.

Or, la Région exploite le domaine du Macte, ce qui conduit à des conflits d’usage avec l’établissement et génère un risque juridique anormal. Elle a ainsi, dans le cadre de l’organisation de l’événement la Route du rhum 2022, signé des conventions d’occupation du domaine public dans l’emprise du Macte et des contrats avec les exposants pour des containers loués par celui-ci ». Les magistrats financiers écrivent encore : « L’indépendance de l’EPCC par rapport à la Région n’est donc pas assurée alors même que cette dernière en a souhaité la création et les compétences respectives du conseil d’administration et de la directrice générale ne sont pas respectées. »

Le 14 octobre 2022 le président du conseil d’administration Ary Chalus (au micro) et la directrice générale Laurella Rinçon (arrière présentation florale), au Macte lors de la conférence de presse de lancement de la Route du rhum 2022.

Mépris du tribunal et de la CRC

Dans le volet gestion des ressources humaines la CRC relève que le Macte a versé 605 000 euros à des agents qui exercent irrégulièrement leur droit de retrait. « Il est pourtant parfaitement fondé à ne plus les rémunérer, à poursuivre les procédures de licenciement et à obtenir le remboursement des indus », insiste les auteurs du rapport. Ces observations de la CRC sont connues de la Région depuis le 25 août 2023, date d’envoi du rapport aux parties prenantes.

Dans son jugement du 16 mars 2023, le tribunal administratif de Basse-Terre a enjoint l’inspectrice du travail Fatima Narous qui s’était opposée au licenciement de 11 salariés à reconsidérer sa décision. Le tribunal avait estimé qu’en fait de droit de retrait, il s’agissait d’abandons de postes. Selon nos informations, Fatima Narous s’est assise sur l’injonction du tribunal. Sa remplaçante Leslie Couchy-Guicheron a fait de même. Puis l’une des premières décisions de Manuella Moutou cadre de la Région, entre-temps nommée directrice par intérim du Macte, a été de procéder à la réintégration de salariés qui sont restés près de deux ans sans travailler tout en percevant leur salaire.

Ces salariés ont repris officiellement leur poste. Ils ont été accueillis, cocktail de bienvenue en prime de 9h30 à 12h30 le 13 novembre, en présence d’Ary Chalus président du conseil d’administration, Teddy Bernadotte, membre du cabinet du président de Région, Raphaël Lapin, administrateur du Macte, Jhoann Arnault, directeur des moyens généraux du Macte, Srinivassan Douredjam, agent comptable du Macte, et Manuella Moutou, directrice générale par intérim du Macte. Au mépris du jugement du tribunal administratif. Et de la recommandation de la CRC.

Sans respect des règles ni des principes, le Mémorial acte poursuit le cours de son déclin.

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