La ligue guadeloupéenne de football, bastion du sport le plus populaire en Guadeloupe, est en proie à une crise de transparence et de gouvernance. Le football, avec ses 9 543 licenciés dont 7 706 pratiquants en 2023, selon la Fédération française de football (FFF), devrait être un modèle de gestion efficace. Cependant, la réalité des finances de la ligue soulève des questions auprès de la communauté sportive et auprès des contribuables.
Pour l’exercice 2022/2023, la ligue a reçu 2 194 516 euros en subventions. L’argent public représente une part significative de cette somme : l’État, par l’intermédiaire de l’Agence nationale du sport, a contribué avec 143 610 euros. Le Conseil régional de Guadeloupe a apporté 205 000 euros, et le Conseil départemental 61 000 euros. La FFF reste le plus grand contributeur avec 1 019 537 euros. Les contributions de la CONCACAF et de la FIFA se chiffrent respectivement à 454 183 euros et 311 187 euros. Ces chiffres ont été communiqués par l’expert-comptable de la ligue lors de l’Assemblée générale ordinaire tenue le 28 janvier dernier à la résidence départementale au Gosier.
Malgré ces fonds importants, la gestion de la ligue, dirigée par Jean Dartron, est dans la tourmente. Jean Dartron et son équipe ont rejeté la liste « Nouvel Ere, Convaincre plutôt que vaincre », menée par Rudy Manin, président du club de Lunar du Raizet (Abymes). Cette décision a exclu Manin de l’élection pour la prochaine élection qui désignera l’équipe dirigeante de la ligue pour les quatre ans à venir.
Le conflit a escaladé en affaire judiciaire. Le 6 septembre, Rudy Manin a assigné la commission de surveillance des opérations électorales de la ligue en référé devant le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre. Cette commission, dépendante de la direction de la ligue et de son président Jean Dartron, devra attendre la décision du tribunal prévue pour le 10 septembre.
Comment en est-on arrivé là ? La commission de surveillance des opérations électorales de la ligue guadeloupéenne de football, a d’abord rejeté la liste de Rudy Manin, au motif que trois membres y figurant, ne satisfaisaient pas aux conditions réglementaires.
Le premier, Thierry Saint Clément parce qu’il est titulaire d’une licence de moins de six mois, le second Lionel Legrave pour n’avoir pas fourni de justificatif prouvant qu’il aurait informé son association d’arbitres qu’il est candidat sur une liste. Le même reproche est fait à Manuel Chaffort concernant son association d’éducateurs. En réalité, les deux candidats ont réalisé la démarche mais n’ont pas fourni de justificatifs.
Ruddy Manin a formé une demande de conciliation auprès du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) afin de gérer ce litige. La commission a fait savoir sa décision le 19 août. En substance, elle a estimé que la candidature de Thierry Saint-Clément n’était pas conforme aux règles édictées par la fédération. En revanche, elle a validé celles de Manuel Chaffort et celle de Lionel Legrave.
Au final, la commission a proposé que la ligue reporte la tenue de son assemblée générale de 30 jours. Assemblée générale au cours de laquelle l’élection devait être organisée. Le temps pour Rudy Manin de présenter une liste tout à fait conforme au règlement. Dans ses conclusions, la commission de conciliation fait observer qu’en ne laissant qu’un mois aux éventuels candidats pour présenter leur liste, la ligue n’a pas respecté un délai raisonnable.
Enfin, la commission constate « qu’en l’état, une seule liste serait en définitive en mesure de se présenter pour constituer le conseil de ligue de la LGF. Ce qui, à l’évidence, n’est pas de nature à favoriser la pleine expression démocratique du scrutin ».
Les choses auraient pu en rester là. L’assemblée générale et l’élection étant ajournées à un mois. Elles vont au contraire se complexifier. Dès le 19 août, à savoir le jour même où le conciliateur communique sa décision, Rudy Manin adresse un e-mail aux présidents de clubs de football de l’archipel pour les informer de son acceptation de la proposition du conciliateur. Il annonce entre autres, remplacer Thierry Saint-Clément par un autre candidat.
Le 22 août en début de matinée, la ligue adresse un courrier électronique au conciliateur, signé de son secrétaire général Lucien Galvani, afin de lui signifier son refus de la proposition de conciliation. À 11 h 17 le même jour, la ligue envoie un courrier électronique aux présidents de club, les informant que la liste de Rudy Manin a rejeté la conciliation. Le mail est ainsi rédigé : « La ligue prend acte de la décision de la liste conduite par Rudy Manin de ne pas saisir dans le délai qui lui est indiqué par la Ligue de football, la main tendue qui lui aurait permis de régulariser sa liste ».
De fait, cet embrouillamini reste incompréhensible si l’on ne sait pas ce qui se passe les deux jours précédents. Les avocats des deux parties au nom de leurs clients respectifs s’entendent le 20 août, sur la date du 28 septembre pour organiser l’assemblée générale et du coup l’élection. Cela signifie que les deux parties sont d’accord sur la proposition de conciliation.
Le 21 septembre, la ligue informe que l’équipe de Rudy Manin via son avocat a jusqu’à 13 heures pour signer cet accord. L’avocat de Rudy Manin ce matin-là, a des obligations professionnelles à Basse-Terre et répond en substance : « Je ferai de mon mieux mais cela peut être 14 heures ou 15 heures cela ne change rien à l’affaire, mon client est d’accord ». L’avocat de Rudy Manin renvoie finalement l’accord signé le même jour, à 13 h 09. Est-ce ce retard de 9 minutes qui serait la base du rejet par la Ligue ? Un argument qui, pour plusieurs membres de plusieurs clubs contactés par Le Courrier de Guadeloupe, frôle l’absurde.
Derrière ce débat électoral se profile une autre réalité. Jean Dartron, qui est également conseiller municipal de Morne-à-l’Eau, conseiller départemental et vice-président du conseil départemental, n’aurait aucune intention de voir émerger une liste concurrente. Un ancien membre de la ligue, sous couvert d’anonymat, a livré au Courrier de Guadeloupe son analyse : « Il est sain que cela se renouvelle après deux mandats. Deux listes, c’est le minimum que commande la démocratie. Le football est un sport pratiqué par les jeunes, mais le conseil d’administration est depuis trop longtemps composé de têtes aux cheveux blancs. »
Des accusations d’infraction financière pèsent également sur Jean Dartron. Il est sous enquête préliminaire pour l’utilisation de plus de 4 000 euros de fonds de la ligue pour financer des billets de train et d’avion au bénéfice de sa famille entre 2020 et 2022.
Le Courrier de Guadeloupe a cherché à joindre au téléphone Jean Dartron vendredi 6 septembre. En vain. Des questions portant sur ce conflit et les billets d’avion payés par la ligue au profit des membres de sa famille lui ont été adressées. Ce dernier a indiqué être « mobilisé sur les préparatifs du match Guadeloupe -Surinam de lundi avec quelques soucis avec la préfecture. Je vous propose une rencontre mardi entre 12h et 14h », a-t-il proposé. Proposition à laquelle Le Courrier de Guadeloupe a répondu positivement. Ce conflit électoral met en lumière la question de l’exercice du pouvoir, de la promotion de la démocratie et la saine compétition électorale. Reste à savoir ce que dira le tribunal judiciaire de Pointe-à-Pitre mardi 10 septembre. Et ce qu’expliquera Jean Dartron à l’opinion publique.
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