Les héros nègres de l’art

Joseph, Chevalier Saint Georges, Joséphine Baker, Aimé Césaire. « Le modèle noir de Géricault à Picasso » donne à voir la part des noirs dans l’art et la culture Occidentale. Édifiant.

« Il aurait été inconcevable que ‘Le modèle noir de Géricault à Picasso’ ne séjourne pas au Mémorial acte. Institution dédiée à la traite négrière ». Cécile Debray directrice du musée de l’Orangerie à Paris, partenaire active de la manifestation vient de dévoiler, vendredi 13 septembre devant la presse, une part de sens de cette exposition. L’étape Mémorial acte est une évidence aux yeux de Jacques Martial, commissaire de l’exposition. « Combien de fois un Guadeloupéen qui n’a jamais quitté son pays a-t-il vu autant de chefs-d’œuvre qui concernent sa participation à l’esthétique occidentale ? Jamais », interroge et répond à la fois Jacques Martial. Il poursuit : « C’est la première fois qu’est restitué au Guadeloupéen un pan de son patrimoine. L’exposition retrace une part de l’histoire de nos ancêtres. Celle qui témoigne de leur participation aux grands moments de la création esthétique ». Joseph, premier modèle noir est naufragé sur « Le radeau de la méduse » de Géricault. Il figure sous la forme d’un portrait magistral exécuté par Adolphe Brune. Joseph illumine de sa stature l’exposition. Et puis, l’ensemble s’affranchit de la geste du modèle. Le tracé du visage de Jeanne Duval suggère la littérature. Baudelaire rend hommage à sa muse métisse. Voilà la poésie subrepticement invitée. Le Macte est la troisième et dernière étape de l’exposition. Partie de New York, elle a ensuite fait un détour par le musée d’Orsay. Jacques Martial a gardé 60 % des œuvres exposés à Orsay et 40 % de celles vues à New York. Il a choisi les autres pièces de l’exposition dédiée au Macte, en étroite adéquation avec la Guadeloupe. Le commissaire de l’exposition a braqué les projecteurs sur la séquence esclavage. Alexandre Dumas, Chevalier Saint-Georges nés de mères esclaves, plastronnent. Ils ne sont pas modèles. Du moins, ils le sont en tant que héros d’une époque où il ne faisait pas bon d’être nègre. Le Saintannais Guillaume Guillon Lethière, l’un des peintres les plus réputés du XIXe siècle, lui aussi né d’une mère noire, leur tient compagnie. La circulaire qui rétablit l’esclavage et les décrets des deux abolitions complètent le propos. Ici, la thématique du modèle est définitivement absente. Autre séquence, autre époque. Elles témoignent à leur tour de l’application chez Jacques Martial à montrer la part du génie noir au monde. Le XXe siècle est le siècle du jazz. Joséphine Baker et Sidney Béchet sont à l’affiche et assurent le show.

Conjurer l’effacement

Aimé Césaire ne figure sur aucun des tableaux exposés. Il est pourtant archi-présent dans cette séquence. Le poète est représenté par le meilleur des ambassadeurs, Pablo Picasso. L’une des 32 illustrations exécutée par le peintre espagnol à l’occasion de la parution du recueil de poèmes du Martiniquais intitulé « Corps perdu » symbolise un dialogue vivifiant et apaisé entre les deux créateurs. Cette exposition du Mémorial acte contribue à rétablir la part d’esthétique portée par le monde noir souligne Jacques Martial. « Celle-ci avait été biffée de la conscience des Occidentaux. ‘Le modèle noir de Géricault à Picasso’ redonne vitalité à l’expression artistique noire. Elle participe aux efforts de conjurer la tentative d’effacement perpétrée par l’Occident », se réjouit Jacques Martial.

• « Le modèle noir de Géricault à Picasso » au Mémorial acte du 14 septembre au 29 décembre 2019.

3 questions à – « Il est temps de sortir de la gangue qui nous enveloppe »

L’artiste Mirtho Linguet également exposé, défend une idée : « Voir le monde avec ses propres yeux, ce n’est pas encore l’égalité mais c’est déjà la liberté ».

Mirtho Linguet, Guyanais est l’auteur d’une des œuvres nouvelles qui figurent à la version Macte de l’exposition Le modèle noir. Son propos artistique : montrer la violence faite aux peuples dominés.

Le Courrier de Guadeloupe : Trois photos. Des femmes en proie à des tourments. Sur leur peau, des gouttelettes. La série s’intitule Bain démaré. Pourquoi ?

Mirtho Linguet : Ces photos sont tirées de la série intitulée Mental-cide, elles-mêmes appartiennent à un ensemble nommé Black-dolls project, en hommage au poème de Léon-Gontran Damas « Rendez-moi mes poupées noires ». Les photos montrent l’état de destruction d’une femme, au contact d’un système qui lui est néfaste. Dans la première, elle est chosifiée. Dans la deuxième elle est zombifiée. Dans la troisième elle est en proie à la folie. En Guadeloupe, Martinique et Guyane parmi les rituels populaires il y a le bain démaré. J’ai estimé que le concept collait à la situation. Une manière de dire qu’il est temps de nous laver et de sortir de la gangue qui nous enveloppe.

À quel système faites-vous allusion ?

Celui qui écarte afin d’anéantir. C’est le système dominant. Lorsqu’on biffe d’un tableau la femme noire qui y figure, c’est une façon de nier sa personne, son identité. C’est l’expression d’une violence inouïe à l’égard de celui à qui on n’accorde aucun statut (ndlr : Mirtho Linguet fait référence au tableau de Manet connu sous le nom de Olympia et qui figure dans l’exposition).

Le bain démaré, est-ce une thérapie ?

C’est plus qu’une thérapie. C’est une autre façon de considérer le problème. Il ne s’agit plus de s’évader d’une prison mais de la détruire. L’idée c’est de refuser les principes que l’autre a élaborés à son profit et à votre détriment. Voir le monde avec ses propres yeux, ce n’est pas encore l’égalité mais c’est déjà la liberté.

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