Montage photos ouverture officielle du Mémorial acte en Guadeloupe le 7 Juillet 2015

La plus haute juridiction financière de l’ordre administratif de France examine l’affaire du Mémorial acte (Macte). Elle lance une enquête sur les potentiels dérapages financiers et administratifs qui secouent le Centre caribéen d’expressions et de mémoire de la traite négrière et de l’esclavage.

Le procureur général près la Cour des comptes a, le 6 octobre 2023, adressé un réquisitoire au président de la chambre du contentieux de la Cour. Le document de 21 pages que Le Courrier de Guadeloupe a pu consulter, circule dans les milieux parisiens et en Guadeloupe.

Il pointe des irrégularités graves et nombreuses, et demande de poursuivre l’instruction: « Pour l’ensemble des personnes susceptibles d’être mises en cause devant la Cour (…) elle devra également approfondir les circonstances dans lesquelles d’éventuelles fautes sanctionnables auraient pu être commises ».

Présidents et directeurs successifs sur la sellette

En avril 2018, Jacques Martial (à g.) et Georges Brédent, entourés de salariés, tiennent le trophée remporté par le Mémorial acte, désigné ‘Musée européen de l’année 2017’ par le Parlement européen. Photo : FB Mémorial ACTe

Le spectre de l’enquête demandée s’étend à tous les niveaux de la gestion du Mémorial. Il interroge les directeurs passés tels que Jacques Martial (précédemment président du parc et de la grande halle de La Villette), Nina Gélabale (précédemment directrice des affaires culturelles à la Région Guadeloupe), Laurella Rinçon (précédemment conservatrice du patrimoine au ministère de la Culture), Gilda Gonfier (par ailleurs directrice adjointe des affaires culturelles de la Région Guadeloupe), le responsable des affaires financières David Camboulin (par ailleurs directeur administratif et financier de l’agglomération Cap excellence).

Mais aussi les présidents du conseil d’administration successifs, Georges Brédent (président du CA de 2019 à 2022, conseiller régional, conseil municipal à Pointe-à-Pitre, avocat de profession) et Ary Chalus (actuel président du CA du Macte, président du conseil régional de Guadeloupe, exerçant 23 mandats publics, retraité de la profession d’agent EDF).

« Compte tenu de leur qualité de garants des prérogatives du conseil d’administration, d’élus locaux particulièrement expérimentés ayant notamment siégé aux conseils d’administration d’autres établissements publics et, pour le premier, de sa profession d’avocat, les fautes susceptibles d’avoir été commises par les présidents du conseil d’administration revêtiraient une gravité certaine » relève le procureur au sujet de Messieurs Brédent et Chalus.

La Sem patrimoniale Région Guadeloupe est aussi citée. Un temps gestionnaire du Macte, la société présidée par Guy Losbar de mars 2016 à août 2021 puis Bernard Pancrel jusqu’à aujourd’hui, et dirigée par Jean-Paul Fischer, est susceptible de voir des responsabilités engagées.

Le procureur met en lumière une irrégularité liée au contrat de travail de Laurella Rinçon, soulignant que le montant de son salaire et les avantages qui lui ont été octroyés n’ont pas été votés en conseil d’administration. Des récriminations concernent également les conditions financières du départ de Jacques Martial, qui a touché au titre d’une rupture conventionnelle, la somme de 91 382,87 euros. L’équivalent de huit mois de salaire, et ce toujours sans l’approbation du conseil d’administration.

Les salariés en droit de retrait : l’affaire dans l’affaire

Autre infraction répertoriée : la rémunération de salariés du Macte en l’absence totale de travail fait. Onze employés avaient fait valoir leur droit de retrait pendant la période du covid-19. Une procédure de licenciement avait été engagée contre eux. L’inspection du travail avait refusé le licenciement de quatre salariés protégés. Le 16 mars 2023 le tribunal administratif de Basse-Terre avait annulé la décision de l’inspecteur du travail et avait conclu à un abandon de poste de la part des quatre salariés protégés.

Le président du conseil d’administration Ary Chalus avait fait savoir qu’il ne voulait procéder à aucun licenciement, y compris de ceux qui n’étaient pas protégés. En septembre un groupe de travail avait été installé pour le retour des salariés. La chambre régionale des comptes a constaté qu’au 9 février 2023 les agents n’avaient pas repris d’activité professionnelle au sein du Macte. Ils ont continué à être rémunérés jusqu’en février 2022 soit plus d’un an après leur droit de retrait infondé.

Puis à nouveau à partir de novembre 2022, alors qu’ils n’avaient toujours pas repris le travail. Le président du conseil d’administration est mis en cause. Le procureur demandant une enquête approfondie sur d’éventuels conflits d’intérêts.

Rappel à l’ordre

D’autres zones d’ombre se dessinent, notamment l’absence de recouvrement de recettes d’exploitation auprès de la société M&G Concept, des budgets non adoptés ou non adoptés dans les temps, le non-paiement des impôts et d’une partie de la TVA. Le procureur souligne une « inorganisation totale et un non-respect flagrant des règles administratives et financières » qui pourraient constituer une « faute grave de gestion ».

Les faits exposés par le procureur de la Cour des comptes illustrent déjà une série d’abus et de négligences. Les nouvelles investigations qu’il préconise dans son réquisitoire pourraient préciser les responsabilités de chacune des instances dirigeantes. Mais aussi dévoiler des failles encore plus grandes dans la gestion de cette institution culturelle et mémorielle emblématique qui touche à l’histoire et à l’identité collective de la Guadeloupe, de la France, et d’une partie du Monde.

Cette investigation dépasse la simple question de la responsabilisation financière au Macte. C’est un signal fort adressé à tous les niveaux de l’administration publique. Elle rappelle que les mandats d’élus et les postes de fonctionnaires ne sont pas des positions qui octroient luxe et prestige, mais des fonctions de service public assorties de lourdes responsabilités.

La cote de popularité ne constitue pas le critère d’évaluation pour les juges. Une perspective que les citoyens appelés à forger leur opinion feraient bien d’adopter également. En ce sens, cette situation sonne comme un sérieux rappel à l’ordre pour toute la classe politique et la société guadeloupéenne.

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