Laurella Yssap-Rinçon s'exprime pour la première fois depuis sa mise à pied de la direction générale du Mémorial acte.

Le conseil d’administration du Mémorial acte (Macte) a prononcé la suspension des fonctions de la directrice générale Laurella Rinçon à titre conservatoire à partir du 23 mars. Georges Brédent président du conseil d’administration de l’établissement public de coopération culturel (EPCC) justifie cette mesure par sa volonté de préserver l’établissement, ses salariés et l’éventuel engagement d’une procédure disciplinaire à l’encontre de la directrice.

Cette décision fait suite à une série d’événements qui témoignent du climat délétère qui prévaut au Macte. Le Courrier de Guadeloupe a rencontré Laurella Yssap-Rinçon qui pour la première fois s’exprime dans un média et expose sa version des faits.

Le Courrier de Guadeloupe : Comment expliquez-vous la dégradation de vos rapports avec Georges Brédent et la Région ?

Laurella Rinçon : Je ne l’explique pas. Je me suis toujours rendue disponible. Le 14 octobre 2020, Georges Brédent convoque un CA pour le 23 octobre. Nous sommes en plein covid. Je lui explique que la date des CA et leur ordre du jour sont fixés en concertation avec la directrice afin que le secrétariat ait le temps de préparer les documents nécessaires. Je lui propose de reporter. Il refuse et l’organise à la Région alors que je suis en mission à Paris. Il est décidé que le président du CA désignera et organisera le comité scientifique, qu’il va revoir le règlement intérieur du Macte et qu’il va recruter un secrétaire général. Des décisions qui vont à l’encontre de la philosophie des EPCC mais aussi des statuts du Macte. Au CA du 27 janvier 2021, le président me déclare : « Vous n’êtes pas recrutée pour l’administration mais pour la partie scientifique ». Or, mon contrat de travail dit exactement le contraire. Je suis recrutée en tant que directrice générale. Je suis ordonnateur du Macte. Le président du CA n’a peut-être pas bien lu les statuts du Macte. Du moins il fait semblant puisqu’il a maintes fois manifesté sa volonté de les modifier à son avantage. Autre loufoquerie qui n’en est pas moins illégale, certains administrateurs sont venus aux CA avec leurs suppléants. Ces derniers ont voté avec les titulaires. La situation se dégrade parce que je passe pour celle qui outrepasse ses prérogatives. Les administrateurs ont l’impression que j’empiète sur les compétences du président. Or, c’est exactement le contraire. Georges Brédent est président du conseil d’administration du Macte. Il n’est pas président du Macte. Des présidents de musée comme Orsay, le Quai Branly ou le Louvre, il en existe. Mais ce sont des conservateurs du patrimoine. Georges Brédent est avocat.

Vous vous êtes accrochée avec le président à cause d’un bureau ?

En octobre 2019, il y avait 7 bureaux au Macte pour 45 agents. Je venais d’être nommée et je n’avais pas non plus de bureau. Il y avait 8 agents sans bureau. Certains depuis 4 ans. J’ai veillé à ce que chaque agent ait un bureau (obligation du Code du travail). Dès le début, Georges Brédent réclame d’occuper le bureau de Jacques Martial. Il fait le forcing. Avant que Martial ne soit parti, il récupère le bureau. Les contraintes liées au covid m’obligent à réorganiser les espaces de travail. Les agents sont de retour sur le site. Je mobilise le bureau occupé par Georges Brédent, je l’en informe. J’organise ainsi deux postes supplémentaires en respectant les distances imposées par le covid. En utilisant ce bureau, c’est dix agents que je mets dans de bonnes conditions sanitaires. J’ajoute que Georges Brédent utilisait le bureau deux heures par semaine. Il l’a surtout utilisé lors de la campagne électorale. Des politiques s’y retrouvaient. Ce sont les agents de sécurité qui m’en ont d’abord informée. J’ai eu à le constater par la suite. Le 22 septembre 2020, je suis convoquée à une réunion à la Région. Autour de la table, il y a Ary Chalus, Marie-Luce Penchard, Jean-Louis Boucard, Teddy Bernadotte, Richard Samuel, José Gaydu, Georges Brédent et Jean-Claude Nelson. Un vrai tribunal qui n’a qu’un seul objectif : la restitution du bureau à Georges Brédent. Je confirme ma décision. J’explique pourquoi le Macte n’a pas en ce moment les moyens d’octroyer un bureau au président. Bureau auquel d’ailleurs il n’a pas droit dans l’institution selon les textes. Il y aura trois réunions de la sorte à propos du bureau du président. Lors de celle du 13 octobre 2020 Richard Samuel devant un agent du Macte, m’a dit « on va vous coller une rupture conventionnelle ». Au cours de cette réunion certains m’ont filmé avec leur téléphone portable. À partir de ce moment, j’ai considéré que le cabinet du président de région exerçait des pressions et une forme d’intimidation à mon endroit.

Vous avez alerté le procureur de la République à propos de 423 653,41 euros encaissés par la Région pour le Macte et non reversés. La Région a déclaré que cet argent n’a pas disparu, vous en pensez quoi ?

Je n’ai ni les moyens ni l’intention de mettre en doute ce que dit la Région. Je pose une seule question : pourquoi attendre 9 mois pour m’en informer ? On m’aurait signifié par écrit que l’argent est sur un compte d’attente, j’étais couverte. Au lieu de cela, la comptable publique de la Région par intérim a commencé en juin 2020 par me dire que je n’étais pas l’ordonnateur que je n’avais rien à réclamer. Preuve qu’à ce niveau, ils ne maîtrisent rien. Ensuite on me dit que j’affabule. Cet argent n’existe pas. Il n’y aura pas de reversement. Le 26 novembre 2020, la comptable publique me déclare en présence de trois témoins « encore cette vieille lune. La Région m’a dit que vous n’aurez jamais cet argentLa Région ne doit rien au Macte ». Cela dure 9 mois. Le 1er mars 2021, la comptable publique finit par être informée par la Région que ces recettes existent, qu’elles vont être reversées. Mais à chaque réunion où je réclame le reversement, on me signifie une fin de non-recevoir. En décembre 2020, José Gaydu directeur général adjoint de la Région m’informe par e-mail que le solde de la dotation de la Région allait être versé. 600 000 euros tout de suite et le reste avant le 15 janvier 2021. Ce à quoi je réponds merci, il va manquer les 423 653,41 euros des recettes du Macte. Sans vouloir persifler, je constate tout de même qu’au jour de ma suspension, cet argent n’était toujours pas reversé. Maintenant que je ne suis plus là, qui pourra vérifier ?

On vous reproche votre inaptitude à manager. Le président du CA cite le droit de retrait observé par une majorité de salariés. Y a-t-il un conflit social au Macte ?

Du 4 au 23 mars 2021, 12 salariés sur 32 dont 6 sont des délégués syndicaux Force ouvrière ont quitté leur poste de travail arguant de leur droit de retrait. L’inspection du travail est passée le 17 mars à ma demande. L’inspectrice m’a écrit une lettre où elle m’explique que les salariés ne comprennent pas toujours les conditions qui déterminent le droit de retrait. La médecine du travail passe le 19 mars. Les deux constatent qu’il n’y a pas de « danger grave et imminent » qui justifierait un droit de retrait. Rodrigue Solitude chef du cabinet de région m’avait par ailleurs informé que ces mêmes délégués syndicaux FO ont obtenu audience au président de Région avec Mario Varo dont le syndicat CFTC n’est pas représenté au Macte. Quant à mon inaptitude au management, j’ai considérablement amélioré les conditions de travail des agents du Macte. Il n’y a eu aucun conflit en 18 mois. Je considère ce jugement sans fondement. Je suis tentée d’y voir un lien avec ma réticence à recruter le chef de cabinet du président de Région au poste de directeur général adjoint aux conditions qu’il exigeait (voiture et compagnie). J’avais en effet émis des doutes sur l’opportunité d’embaucher un directeur général adjoint de façon discrétionnaire sans ouverture de poste. Qui plus est, avec la même fiche de poste que la mienne.

On vous reproche aussi votre chauffeur de taxi.

J’ai demandé une mise à disposition d’un chauffeur. Je n’ai pas le permis de conduire. On m’a répondu qu’il y a un taxi qui travaille déjà avec le Macte. Il transporte les invités, les artistes lorsqu’il y a des manifestations. ‘Il va vous transporter’. Un avenant à mon contrat a été signé dès le 4 octobre 2019 par le président pour prendre en charge cette dépense. C’est la proposition du président et du conseiller spécial du cabinet de Région. Georges Brédent a reconnu au CA du 16 mars 2021 que c’est lui qui a proposé cette formule et qu’il a signé l’avenant. C’est également faux de dire que je n’avais pas le droit de recruter. Le directeur d’un EPCC peut recruter un CDD. Jacques Martial disposait de 80 000 euros de frais de mission par an. À comparer avec 5 800 euros de taxi. La directrice du musée Edgard Clerc avec un budget qui n’a rien à voir avec celui du Macte dispose d’une voiture avec chauffeur.

On dit aussi que vous avez mauvais caractère.

La fonction de conservatrice du patrimoine exige du caractère. Mon profil aurait dû les renseigner. Je ne connais qu’une règle, c’est la règle. Je peux faire preuve de souplesse et de dialogue mais pas avec des règles de comptabilité publique. Si le conseil d’administration voulait mettre fin à notre collaboration, ils auraient pu me le faire savoir. Mais organiser un lynchage médiatique depuis le 11 janvier avec convocation de la presse à chaque sortie de CA pour orchestrer une cabale et désinformer la population, ce ne sont pas des manières. C’est ne pas prendre la mesure de l’institution et de ses missions. Le Macte et les Guadeloupéens méritent mieux que cela.

[Entretien mené par Pierre-Édouard Picord]

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Georges Brédent (en costume) commémore l’abolition de l’esclavage au Mémorial acte le 27 mai 2021. Photo compte Facebook Mémorial acte.

Interrogé par Le Courrier de Guadeloupe Georges Brédent, président du conseil d’administration du Mémorial acte accable sa directrice générale. « C’est à un défi permanent que s’est livrée Laurella Rinçon vis-à-vis du conseil d’administration, du président et d’une large partie du personnel du Mémorial acte (Macte) introduit-il. La directrice générale suspendue se drape dans le manteau de l’innocence mais c’est à un véritable coup de force qu’elle s’est livrée en s’accaparant du bureau du président pour l’affecter à deux agents du Macte, (pourtant déjà pourvus d’un espace de travail à usage exclusif), sous le faux prétexte de respect d’une distanciation sociale à géométrie variable (en effet, dans le même temps, une large partie du personnel était cantonnée dans une pièce du rez-de-chaussée non conforme aux exigences de la loi dans un contexte depandémie.) Un épisode primordial selon l’élu régional pour qui ce fait illustre bien l’autoritarisme de l’intéressée et s’inscrivait dans le cadre d’une stratégie longuement mûrie de minimisation des prérogatives du conseil d’administration et de son président. En attestent par ailleurs la tentative d’annulation d’une réunion du conseil d’administration, les changements unilatéraux d’affectation de certains espaces symboliques de l’établissement, les déclarations médiatiques désobligeantes à l’endroit du président et la multiplication de contrats à durée déterminée (dont celui d’un artisan chauffeur de taxi, embauché après que le payeur régional a refusé de prendre en charge les dépenses de taxi engagées au préalable) pour contourner les pouvoirs du conseil d’administration en matière de création de postes. » Cette question de l’autorité en matière d’embauche est contredite par la délibération unanime du conseil d’administration (voir ci-dessous) qui impute au directeur et non au conseil d’administration la charge de recruter pour les emplois de l’établissement et de passer des marchés. Mais Georges Brédent voit dans l’action de Laurella Rinçon « autant d’entorses donc faites aux pouvoirs de l’organe législatif de l’établissement (le conseil d’administration). Le bon fonctionnement d’un Établissement public de coopération culturelle ne peut se concevoir en dehors d’un esprit de dialogue et de concertation entre sa direction générale et la représentation des collectivités qui le composent à travers son conseil d’administration. Tout ceci nous a conduits à dresser un pénible constat d’ingouvernabilité » conclut-il.

Même son de cloche du côté de Rodrigue Solitude. Le chef de cabinet du conseil régional soutient que c’est la directrice du Macte qui a sollicité l’aide de la Région. Sauf que dans un courrier du 14 décembre 2020 de Laurella Yssap-Rinçon adressé au président de Région, elle indique que la région n’a versé au 14 décembre 2020 que 53 % de sa contribution au Macte : soit 2 329 134,41 euros. Utilisant ce constat la directrice du Macte poursuit : « N’ayant aucune visibilité sur le versement du solde de la contribution 2020 et a fortiori sur la contribution 2021, il ne m’est pas possible d’envisager des recrutements et en particulier celui de votre chef de cabinet (Ndlr Rodrigue Solitude). Il m’a en effet été demandé de le recruter comme secrétaire général du Macte pour un salaire de 5 000 euros par mois aboutissant à un coût global annuel de 115 000 euros à quoi sont censés s’ajouter une voiture, un téléphone de fonction pour un coût supplémentaire de 35 000 euros ».

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La justice est déjà mobilisée à propos des événements qui secouent le Macte. Selon Médiapart Patrick Desjardins procureur de la République de Pointe-à-Pitre a confirmé l’ouverture d’une enquête préliminaire et des investigations ont été confiées à la police judiciaire après le signalement effectué par la directrice Laurella Rinçon en vertu de l’article 40. Dans sa lettre au procureur, la directrice du Mémorial indique qu’après avoir réclamé maintes fois depuis 9 mois le reversement de 423 653,41 euros de recettes de billetterie du Macte, cette somme n’a toujours pas été transférée à l’institution. Le signalement est également parvenu au ministère des Outre-mer, au préfet de Guadeloupe et au Parquet national financier (PNF).

Lire aussi : 423 653,41 euros introuvables ?

Georges Brédent président du conseil d’administration a déclaré le 25 mars 2021 sur RCI que cet argent avait été retrouvé très récemment. Il a affirmé que « c’est un faux débat et un faux procès de dire que l’on ne sait pas où se trouvent les 420 000 euros, laissant planer un voile de suspicion sur la collectivité régionale qui est l’un des administrateurs majeurs du Macte ». Au 23 mars date de la suspension de la directrice du Macte les 423 653,41 euros n’étaient pas reversés au Macte. Une deuxième enquête préliminaire des chefs de favoritisme et de détournement de fonds publics est en cours à propos du Macte. Elle a été initiée par le Parquet national financier (PNF) au mois de juin 2019, à la suite d’une note de la Cour des comptes. À l’époque le Macte était géré par la société d’économie mixte SEM patrimoniale. Elle ne disposait pas de régie propre. Les recettes de billetterie étaient encaissées directement par la Région. À la création de l’établissement public de coopération culturelle (EPCC) en mai 2019, la régie du conseil régional a continué un temps de percevoir les recettes de billetterie. Elle doit reverser ces fonds à l’institution désormais autonome. C’est dans ce laps de temps lors de cette bascule que 423 653,41 euros sont devenus introuvables.

Lire aussi : La Cour des comptes critique le Macte

Dans son rapport annuel publié le 6 février 2019, la Cour des comptes critique la gestion des fonds européens en Outre-mer. Elle déplore le fait que « les autorités de gestion et les services instructeurs ont concentré de façon excessive leur attention sur les moyens de consommer ces financements, ce qui a pu les amener à privilégier la dépense par rapport à la mesure de la performance et au contrôle des risques d’irrégularité », et conclut sur une série de projets financés par des fonds européens en Outre-mer à « de nombreuses dérives liées à un manque de sélectivité dans le choix », « à la conduite des projets », et « à l’absence de maîtrise des calendriers ». Dans sa réponse, la ministre des Outre-mer en exercice Annick Girardin soulignait que « la majorité de vos constats ne sont pas propres aux territoires ultramarins » et que « les opérations mises en exergue au titre de leurs défaillances sont pour la plupart des opérations caractérisées par une complexité qui a parfois dépassé les porteurs de projet (TCSP en Martinique, Mémorial ACTe en Guadeloupe, » Haut Débit « en Guyane) ». Son prédécesseur au ministère Victorin Lurel pointait la « vision exagérément pessimiste » de la Cour qui « persiste à véhiculer une vision soupçonneuse, souvent peu étayée, de la conception et de la conduite du projet ». Et de se réjouir qu’« au total, ce grand projet n’aura coûté que 76 M€ contre 160 M€ pour le Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (contre les 88 M€ prévus initialement) ou les 306 M€ pour le Musée des Confluences de Lyon dont le coût a presque doublé ». Le projet du Mémorial Acte a vu son budget passé de 21 M€ prévisionnels en 2012 à 76 M€ constatés en 2017. Le Parquet national financier (PNF) avait ouvert une enquête préliminaire, sur la base du signalement de la Cour des comptes. Le Macte est le premier lieu culturel visité en Guadeloupe.

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