La valse des désignations montre les façons de l’extrême droite
Promesse de grand déballage
• Christiane Delannay-Clara estime que les inexactitudes de son curriculum vitae écrit par les instances du parti ne sont pas
les vraies raisons de son éviction. Elle promet de tout déballer.
Christiane Delannay-Clara a été évincée à cause d’« inexactitudes publiques dans la présentation de son parcours électif et une volonté manifeste de ne pas respecter les règles légales du bon fonctionnement d’une campagne électorale. Maxette Pirbakas Grisoni présidente de la Fédération départementale des syndicats des exploitants agricoles (FDSEA) l’a remplacé sur la liste du Rassemblement national ». Voilà pour le discours officiel repris en boucle par les médias. Cette citation est extraite du communiqué exclusif remis à Guadeloupe 1ère et publié sur le site du service public d’information. Le document non sourcé, est sans en tête, n’est pas daté, ni signé. Figurant un temps sur le site du Rassemblement national, le texte a disparu. Selon nos informations, il n’a pas non plus été adressé à l’Agence France presse (AFP). Interrogée par téléphone vendredi 19 avril Christiane Delannay-Clara affirme avoir appris la nouvelle par les médias. Du parti, elle n’a reçu aucun message officiel de son éviction.
Pirbakas et Lacrosse recalés
D’autres sources proches du parti voient dans cette affaire une collusion entre le délégué du Rassemblement national en Guadeloupe Rody Tolassy, et le référent Outre-mer du parti, André Rougé. À l’appui de leur thèse, elles expliquent que le candidat du Rassemblement national était Blaise Aldo. Thèse confirmée par l’intéressé lui-même qui raconte avoir été reçu par Marine Le Pen « avant tout le monde ». Cette dernière lui aurait proposé de figurer sur la liste. L’ancien maire de Sainte-Anne, déclaré inéligible à la suite des élections sénatoriales, se fait doubler par d’autres prétendants qui jouent leur carte. Joseph Lacrosse attaché parlementaire du député Max Mathiasin est le premier à se lancer. Ce dernier sera licencié par son employeur lorsqu’il aura connaissance de la démarche de son salarié. À Paris, Joseph Lacrosse se fait recaler par Marine Le Pen. Selon plusieurs sources Maxette Grisoni-Pirbakas aurait dans la foulée rencontrée elle aussi Marine Le Pen. Elle n’aurait pas convaincu à l’époque le leader du Rassemblement national. De son côté, Blaise Aldo adoube Christiane Delannay-Clara. Sauf que Rody Tolassy n’avait pas donné son aval. Ce dernier en compagnie d’André Rougé, délégué Outre-mer du Rassemblement national aurait œuvré afin de remettre dans le jeu Maxette Grisoni-Pirbakas Grisoni. Joint au téléphone vendredi 19 avril, Blaise Aldo n’en dit mot. Il fait cependant remarquer que sa candidate était encensée, y compris par André Rougé et ce, jusqu’au 16 mars. Christiane Delannay-Clara a été intronisée le 13 janvier. Les inexactitudes dans la présentation de son parcours sont dévoilées dans la presse dans la foulée. Aucune sanction du parti d’extrême droite. Et pour cause. L’élue Saint-franciscaine confie au Courrier de Guadeloupe qu’elle n’a pas rédigé son CV, « c’est l’œuvre du parti ». Selon ses dires, André Rougé aurait insisté pour qu’elle mette l’accent sur son statut de transfuge du PS. Une prise de guerre en quelque sorte. Selon plusieurs délégués locaux du parti, prononcer l’éviction de Christiane Delannay-Clara quatre mois plus tard sur ce motif ne tient pas la route. Ces mêmes délégués disent avoir surpris des messes basses entre Rougé, Tolassy et Pirbakas, lors de la tournée du Rassemblement national en Guadeloupe. Contactés, André Rougé et Rody Tolassy n’ont pas donné suite à nos demandes. Christiane Delannay-Clara déclare savoir les vraies raisons de sa disgrâce. Elle promet de « tout déballer » lors d’une conférence de presse qu’elle donnera dans quelques jours en Guadeloupe.
Delannay-Clara, Itinéraire du sacre à l’éviction
• Chronologie d’un revirement : en quatre mois, l’élue saint-franciscaine est passée de candidate idéale
à malotrue.
• Fin décembre 2018. Blaise Aldo ancien député européen, ancien maire de Sainte-Anne pressenti pour figurer sur la liste du Rassemblement national soutient qu’André Rougé l’a interrogé : « Qu’est-ce que tu penses de Maxette (ndlr Maxette Pirbakas) ? » Blaise Aldo répond qu’il participe uniquement si c’est Christiane Delannay-Clara la candidate. Fermez le ban.
• 4 janvier 2019. Marine Le Pen reçoit Christiane Delannay-Clara. André Rougé aurait confié à Blaise Aldo que « le profil de Christine a emballé Marine ».
• 13 janvier. Lors d’une réunion publique du Rassemblement national à Paris, les douze premiers noms de la liste pour les Européennes sont présentés. Christiane Delannay-Clara est placée au 12e rang.
• Fin février. Christiane Delannay-Clara est présente au salon de l’agriculture aux côtés de Marine Le Pen.
• 12 mars. Conférence de presse au cours de laquelle le Rassemblement national présente son programme pour l’Outre-mer. Christiane Delannay-Clara est assise à la droite de Marine Le Pen. Elle prend la parole.
• 14 mars. Début de la tournée du Rassemblement national aux Antilles Guyane. Christiane Delannay continue à vanter les mérites du Rassemblement national. Elle est interviewée sur Guyane la 1ère.
• 16 mars. Maxette Grisoni-Pirbakas est présente à la réunion des sociaux-professionnels qui a lieu à la Créole beach au Gosier. C’est à partir de ce moment que Blaise Aldo dit avoir compris qu’il se trame des choses dans son dos et dans celui de sa candidate.
• 17 avril 2019. Surprise générale. Les médias radio et télé de Guadeloupe annoncent la désignation de Maxette Grisoni-Pirbakas et l’éviction de Christiane Delannay-Clara.
Face à André Rougé, L’outre-mer se rebiffe
• Guadeloupe, Martinique, La Réunion. L’éviction de Christiane Delannay-Clara révèle les failles de la politique Outre-mer du Rassemblement national. Principal mis en cause : André Rougé, délégué Outre-mer du parti.
Le choix des candidats Outre-mer décidés par les instances nationales du Rassemblement national et le déroulement des opérations qui ont précédé ces décisions ne font pas l’unanimité dans les instances locales du parti de Marine Le Pen. Prévert Mayengo membre du bureau fédéral de Guadeloupe, responsable de la communication, a adressé un mail lundi 29 avril aux dirigeants nationaux du parti. À Marine Le Pen, et à Louis Aliot notamment. Il y dénonce certains faits graves que nous ne rapporterons pas, faute de n’avoir pas pu les vérifier. Il dénonce aussi, depuis le passage d’André Rougé en Guadeloupe, l’organisation de réunions en l’absence de plusieurs membres du bureau dont lui-même. Le remplacement de Christiane Delanay-Clara par Maxette Pirbakas ne passe pas. Le bureau de la fédération de la Martinique a décidé de ne pas faire campagne. Jointe au téléphone, vendredi 27 avril, Marie-Jeanne Jeanville, déléguée départementale de Martinique a déclaré au Courrier de Guadeloupe qu’elle tiendra une conférence de presse samedi 4 mai. Elle a certifié qu’elle videra son sac à cette occasion.
Du plomb dans l’aile
Dans un mail d’Élodie Charron (dont Le Courrier de Guadeloupe a pu prendre connaissance), la déléguée fédérale du rassemblement national de La Réunion dit n’avoir « absolument pas tout apprécié lors de la venue d’André Rougé à La Réunion ». Selon elle, André Rougé a favorisé le choix de Marie-Luce Brasier pour figurer sur la liste alors que les instances locales avaient proposé Joseph Rivière. Elle rajoute dans son courrier que depuis, personne ne veut plus travailler pour le Rassemblement national. Bref, la stratégie du Rassemblement national qui consistait à faire une large place à l’Outre-mer sur sa liste, semble avoir pris du plomb dans l’aile. Ce n’est pas la lettre de suspension du 29 avril envoyé à Prévert Mayengo par le délégué fédéral Ruddy Tholassy après qu’il a écarté son membre du bureau des réunions, qui dissipera les soupçons de népotisme qui ont envahi plusieurs membres du Rassemblement national en Outre-mer.
Un parcours tourné vers l’Outre-mer
Né en 1962, licencié en droit de la faculté Assas de Paris, André Rougé devient attaché parlementaire de Michel Debré député de La Réunion de 1986 à 1988. Il rejoint ensuite Alain Juppé, numéro 2 du RPR, comme chargé de mission aux affaires politiques pour l’Outre-mer. Il sera cité dans l’affaire des emplois fictifs de la mairie de Paris. André Rougé œuvre dans les cabinets ministériels entre 1993 et 1997 : à l’Outre-Mer (aux cabinets de Dominique Perben et de Jean-Jacques de Peretti), et à l’Intégration et la lutte contre l’exclusion (où il est chef de cabinet d’Éric Raoult). Dans les colonnes de lopinion.fr, celui qui a fait la campagne de Jacques Chirac en Outre-mer en 1995 revendique et déclare : « Le vote ultramarin a contribué à battre Balladur ». En 1996, membre du conseil national du RPR, André Rougé est missionné au Tchad par l’Élysée afin d’y organiser des élections présidentielles supervisées par l’État français. Après la dissolution d’avril 1997, André Rougé décide de créer le réseau Richelieu qui vise à faciliter la reconversion des membres de cabinets ministériels de droite qui ne sont pas fonctionnaires. Reclassé chez Bouygues Construction, il y occupe pendant 17 ans le poste de directeur du développement et des relations extérieures. André Rougé est revenu en politique comme conseiller de Marine Le Pen. En position éligible sur la liste du Rassemblement national pour les Européennes de mai 2019, André Rougé est présenté comme un débauchage à droite, mais cultive de longue date des liens avec l’extrême droite radicale selon la journaliste de Mediapart Marine Turchi.
Maxette Pirbakas boudée par ses pairs
• Candidate malheureuse à la Chambre d’agriculture, les adversaires de Maxette Grisoni-Pirbakas aux élections professionnelles ne lui trouvent aucune qualité politique.
Maxette Pirbakas-Grisoni est bien connue dans le milieu agricole en Guadeloupe. Les gens de la profession la décrivent comme une femme active, déterminée qui a réussi dans son activité professionnelle. En revanche, peu de gens (même dans le milieu où elle a réussi), lui accordent leur confiance. Les résultats des élections du 7 février dernier de la Chambre d’agriculture en témoignent. Maxette Pirbakas-Grisoni qui en briguait la présidence a échoué dans sa tentative. La présidente de la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles (FDSEA) n’a obtenu que quatre sièges sur 28 pourvues et 33 possibles. Interrogé, l’actuel président de la Chambre d’agriculture Patrick Sellin (ex-apparenté FDSEA, président du Mouvement des exploitants familiaux), n’a pas voulu livrer d’opinion sur Maxette Pirbakas-Grisoni. Il s’est dit toutefois réservé quant à ses capacités à défendre un dossier. « Maxette a encore beaucoup à apprendre » a-t-il déclaré.
« Aucune compétence »
En revanche, Alex Bandou ne mâche pas ses mots. Le président de l’Union des paysans de Guadeloupe (UPG) ne trouve aucune compétence à Maxette Pirbakas-Grisoni. « Elle ne saura défendre aucun dossier guadeloupéen, d’ailleurs je ne lui connais aucune compétence politique », maintient Alex Bandou. Pour sa part, Rody Tolassy référent Rassemblement national en Guadeloupe a estimé sur RCI que Maxette Pirbakas avait le profil idoine pour représenter le Rassemblement national. Selon lui, elle saura défendre les intérêts de la Guadeloupe au Parlement européen.
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