Accueil Économie Budget primitif du conseil régional : pourquoi les élus s’affrontent

Budget primitif du conseil régional : pourquoi les élus s’affrontent

Ary Chalus avait laissé entendre, commande d’audit financier à l’appui, ses doutes sur les finances de la collectivité qu’il préside depuis le 20 décembre 2015. Las, ce n’est pas la remise de l’audit annoncée pour juillet, ni l’examen du compte administratif 2 015 annoncé pour juin, qui est venu rompre sa réserve. Lundi 11 avril, le nouveau président de Région a publié un brûlot de quatre pages qui a lancé une folle séquence d’affrontements entre élus. Le tout sur fond de rancœur et d’insultes. Récit.

REPORTAGE

Séance agitée le 12 avril dans l’hémicycle

Crime budgétaire pour les uns, austérité pour les autres. Les élus du conseil régional, par ailleurs premier investisseur de Guadeloupe, se sont affrontés sur la qualification de la situation financière de la collectivité… avant de s’en prendre aux personnes. Compte rendu des cinq heures d’un débat qui n’a pas été à la hauteur des enjeux.

Le débat s’annonçait passionnant. Il avait bien été engagé dans l’hémicycle du conseil régional à Basse-Terre, mardi 12 avril, à l’occasion du vote du budget primitif 2 016 de la Région. Il a tourné court. Christian Baptiste, Audry Cornano, Hélène Vainqueur s’étaient dans un premier temps évertués à réfuter les accusations de mauvaise gestion et de catastrophe financière proférées par la nouvelle majorité à l’égard de l’ancienne. Le président Chalus dans son discours de politique générale quelques instants plus tôt avait déjà annoncé la couleur et évoqué un «  crime budgétaire  » perpétré par Victorin Lurel. Le débat tournait autour de la trésorerie de la Région jugée abondante par l’équipe Lurel, alors que l’équipe Chalus au pouvoir martelait qu’elle était exsangue. La soixantaine de personnes – élus, cadres administratifs, journalistes et quelques citoyens passionnés de politique — écoutait religieusement. Christian Baptiste, puis Hilaire Brudey demandèrent pourquoi le compte administratif 2 015 – selon eux excédentaire — n’était- il pas annexé au budget primitif.  » Cela donnerait une meilleure appréciation de la situation financière de la Région  » avait estimé le maire de Sainte-Anne Christian Baptiste. Hélène Vainqueur, élue de l’opposition, déplora la diminution de la part initiale accordée au cyclotron. Le camp Lurel estimait que le budget 2 016 présenté par la nouvelle majorité installait l’austérité dans le pays. Un débat peu clair s’instaura sur les concepts de crédits de paiement, autorisations d’engagement, et autorisations de programme. Chaque camp défendait avec âpreté sa thèse. Les premiers auraient trop engagé selon la nouvelle majorité.  » Il n’y a pas d’argent pour réaliser tout ce qui a été programmé « , ponctua Guy Losbar. «  Les sommes sont programmées sur plusieurs années  » répondit le camp Lurel. Pas sûr que dans l’hémicycle tout le monde ait pu se faire une religion quant au bien-fondé des différents arguments. Le débat battait son plein. Et puis, les choses se sont envenimées. Une intervention de Victorin Lurel où il demandait au président Chalus de  » prendre de la hauteur et d’apprendre plus vite les arcanes de l’exercice budgétaire régional  » puis où il livrait  » la honte éprouvée lorsque la Guadeloupe s’est dédite pour organiser les jeux de la francophonie  » a entraîné une pluie d’invectives à son endroit. Jean Bardail a considéré que l’ancien président de Région avait montré du mépris à l’égard d’Ary Chalus, Dominique Théophile a enchaîné sur le même registre et Sylvie Gustave dit Duflo a parlé de mégalomanie concernant le chef de file de l’opposition. Ary Chalus est venu parachever le travail d’un sentencieux «  pis pa ka rété si chien mò « . À Partir de cet instant il ne fut plus question de débat. La campagne électorale sous ses plus mauvais auspices avait redémarré dans l’hémicycle.

La Région annule 73 millions d’investissements

La déviation de la Boucan à Sainte-Rose a été l’une des pierres d’achoppement de la plénière du mardi 12 avril au cours de laquelle le budget primitif 2 016 a été adopté. Le président Chalus a annoncé que cet ouvrage était reporté sine die. Le projet, prévoyait de désenclaver le Nord Basse-Terre avec la construction d’une route de quatre kilomètres à 2X2 voies et un viaduc de 200 mètres sur la Grande Rivière de Goyave. Coût total des travaux : 80 millions d’euros. Parmi les arguments ayant présidé à cette décision de report, Ary Chalus a avancé que :  » Le projet n’a pas tenu compte des emplois qui allaient disparaître dans le quartier. En particulier ceux générés par les deux stations-service de la Boucan.  »

Une année calme

L’opposition s’est émue de la suppression d’investissements qui feraient les frais d’une politique qu’elle qualifie  » d’austérité « . Le centre de formation des apprentis de Petit-Canal ne sera plus construit. La Région ne financera pas la rénovation urbaine de Basse-Terre. Le stade Félix Éboué de Basse-Terre ne sera pas requinqué, le stade de Port-Louis pas plus, et il faudra mettre une croix sur le Mémorial Delgrès à Saint-Claude. Le Budget 2 016 rogne sur les dotations de la Région pour la reconstruction du Centre des arts de Pointe-à-Pitre, l’école d’ingénieurs et l’aménagement des ports. À ces projets abandonnés ou reportés, il faut ajouter les coupes claires opérées sur la construction du barrage de Moreau à Goyave, divers travaux routiers, les travaux sur les réseaux d’eau, les travaux de renforcement sismiques des lycées. Au total, le budget 2 016 de la Région annule 73 millions d’investissements qui étaient programmés par le précédent exécutif. Ary Chalus justifie cette cure d’amaigrissement par la situation financière de la Région qu’il devine catastrophique et désigne «  un budget qui permettra de passer une année calme.  »

Ary Chalus :  » le prestidigitateur « 

Au petit matin du lundi 11 avril, les rédactions ont reçu par mail un document de quatre pages signé Ary Chalus, président du conseil régional. Il qualifie Victorin Lurel de prestidigitateur et trace un tableau sombre de la situation financière de la Région. Les budgets 2 014 et 2 015 sont plus particulièrement visés. Ils auraient connu «  une hypertrophie à caractère électoraliste basée sur des emprunts qui vont grever la capacité d’action de la Région pendant 10 ans « . L’accusation se fait glus grave dans un paragraphe intitulé Illusion. Ary Chalus décrit une Région gérée  » selon des modalités qui rappellent la cavalerie bancaire du secteur privé dans lequel, de nouveaux emprunts servent à rembourser les précédents « . Sont citées :  » Des conventions conclues avec les communes (ndlr les contrats de développement durable territorial C2DT) et pour lesquels un emprunt a été annoncé alors que le financement desdits contrats n’est en réalité pas assuré par des crédits de paiement « . Ary Chalus reproche également à Victorin Lurel la décision d’organiser la Coupe Davis en Guadeloupe, la fixation des taux d’octroi de mer sans concertation. La Région dépeinte faillite, introduira la présentation et la défense le lendemain – lors d’une plénière hors normes — d’un budget en forte diminution par rapport à celui de 2015.

Victorin Lurel :  » la propagande mensongère « 

L’ancien président de Région, en conférence de presse mardi 12 avril à Pointe-à-Pitre, a donné la réplique à son successeur. Victorin Lurel affirme «  qu’il a laissé une Région en bonne santé financière  » et accuse Ary Chalus «  de dissimuler le compte administratif 2 015 dont il connaît le résultat excédentaire de 50 millions d’euros « . Ainsi que le compte de gestion du payeur  » excédentaire de 36 millions d’euros « . Victorin Lurel avance qu’Ary Chalus organise délibérément  » une austérité inutile et dangereuse en imposant une diminution de 68 millions d’euros de crédits d’investissement (30 %) que rien ne justifie « . Sur l’ensemble des grands travaux abandonnés par le nouvel exécutif, Victorin Lurel affirme qu' » ils sont engagés depuis longtemps et sont financés par les ressources nécessaires (TSC, FEDER, contrat de plan Etat/Région, emprunts et autofinancement) « . Sur les C2DT Victorin Lurel explique qu’ils rassemblent l’ensemble des actions de la Région en faveur des communes en un seul contrat pluriannuel (…)  » et représentent une inscription budgétaire de 120 millions sur 2015-2020 soit 20 millions d’euros par an. C’est tout-à-fait supportable « . Enfin l’ancien exécutif affirme que «  la Région peut rembourser sa dette en 5,2 années. On parle de surendettement à partir d’un ratio de 15 ans.  »

ANALYSE

Les dessous d’une tactique politique

Le Courrier de Guadeloupe a interrogé les 12 et 13 avril des spécialistes qui ont livré leurs éclairages, non pas sur la santé financière de la Région mais sur quelques règles et notions de comptabilité et de gestion de la Région. Ils révèlent les biais de langage et les tactiques politiques à l’œuvre.

Pendant les débats de la séance plénière du conseil régional le 12 avril, la majorité et l’opposition se sont affrontées, non pas sur des choix politiques, mais sur l’état des finances de la Région. Derrière les chiffres, c’est selon les explications recueillies auprès d’experts en finances publiques, de tactique politique qu’il est question.

Première leçon, les notions de crédit de paiement, (CP) d’autorisation d’engagement (AE) et d’autorisation de programme n’interviennent pas au même niveau. Les crédits de paiement doivent pouvoir être mobilisés immédiatement. La trésorerie doit y répondre dès lors que le marché est exécuté et que la facture est arrivée en Région. Les ouvrages et marchés prévus en autorisations de programme laissent eux une plus grande latitude à la collectivité. Il s’agit souvent de gros budgets qui sont étalés sur plusieurs années. Par exemple, il faut comprendre que la polémique sur le non-financement du lycée de Baimbridge n’a pas lieu d’être. Seule une partie du projet a déjà fait l’objet d’un marché qui a été attribué et est financé. Les travaux ont débuté. D’un montant de 80 millions d’euros ce marché est lui-même étalé sur huit ans et scindé en huit tranches. Reste à traiter l’autre partie du projet qui porte sur plus de 100 millions d’euros. L’appel d’offres n’est pas lancé. Les entreprises qui soumissionneront auront au moins quatre mois pour rendre leur offre. Et l’exécutif est maître de son timing. Aucune date ne lui est imposée. À charge pour lui de trouver les financements avant de lancer, ou pas, l’opération.

Sur les factures non payées depuis le changement de majorité, la Région arrête les paiements en décembre et les reprend vers février. Victorin Lurel accuse Ary Chalus de ne pas payer les entreprises pour donner le change d’une trésorerie exsangue et Ary Chalus dit crouler sous des factures trouvées dans les tiroirs. La vérité est peut-être plus simple. Enfin nos informateurs sont unanimes. Les experts sont unanimes : le vote d’un budget supplémentaire en cours d’année 2016 viendra corriger amplement budget primitif. Entre temps, chacun aura tenté de marquer l’opinion.

INTERVIEW

Les entreprises mitigées à l’annonce des coupes budgétaires

Le Courrier de Guadeloupe a recueilli mercredi 13 avril les réactions d’un panel de chefs d’entreprises selon le poids, prépondérant ou négligeable, de la Région dans leurs portefeuilles clients.

Mike Calvados Références Caraïbes Agence événementielle.  » Je suis dans l’événementiel depuis de nombreuses années et pour l’heure tout va bien. Mes dernières prestations facturées à la Région ont été totalement réglées. Et elles remontent à l’ancienne mandature. Pour le reste, il faut attendre et voir comment va travailler la nouvelle équipe. Je suis optimiste. « 

Yohan De la Clémandière de Courtemanche, WOLF Sécurité, Service de sécurité. «  Je m’y attendais. C’est un peu un phénomène classique de voir la nouvelle majorité vouloir imposer sa marque. Je dirige pour ma part une entreprise de sécurité. C’est un domaine où la demande dépasse la sphère publique. Je pense que ces coupes budgétaires annoncées par la Région auront un effet limité. »

Hélène Dorvilma, KLG Guadeloupe formation, Formation professionnelle.  » Comme dans toutes les entreprises du secteur de la formation professionnelle, les restrictions de budget de la Région auront des conséquences chez nous parce que nous travaillons en étroite collaboration avec l’instance régionale. Cela dit il faut attendre pour voir dans le détail. « 

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