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Double meurtre de la rue Raspail

Double meurtre de la rue Raspail

Dans la nuit du samedi 19 au dimanche 20 juillet, deux jeunes ont trouvé la mort rue Raspail à Pointe-à-Pitre. Le premier parce qu’il ne voulait ne semble-t-il pas céder sa chaîne, le second parce qu’il a été victime de la vengeance des amis du premier. Les deux victimes étaient à peine majeures. Deux familles doivent désormais faire leur deuil. La nuit d’avant, un jeune homme de 25 ans se tue dans un accident de scooter. Malentendu, quiproquo, paranoïa : les amis de la victime croient à une poursuite des gendarmes. Par dizaines, ils envahissent le CHU. Le chaos s’installe, le personnel est pris à parti. L’atmosphère est électrique. Le groupe d’intervention de la police nationale (GIPN) est appelée à la rescousse. Suite à ces événements tragiques et graves, la préfète de la Région Guadeloupe dans un communiqué indique que  » Tout sera mis en œuvre pour déférer les auteurs présumés de ces faits devant la justice si des plaintes devaient être déposées « . La Préfète annonce également  » un renforcement significatif dans les jours prochains des contrôles routiers sur l’ensemble du département de la Guadeloupe, et des patrouilles et des contrôles sur la Zone de Sécurité Prioritaire (ZSP) de Pointe-à-Pitre/Abymes/Baie-Mahault. » Est-ce vraiment suffisant ? Le Courrier de Guadeloupe revient sur ce week-end sanglant et hors-norme. Récit.

CHU

État d’urgence au CHU

2 h 16 Les policiers appelés par la centrale arrivent au CHU. Le motif de leur venue, une demande de renforts formulée par des gendarmes confrontés à une bagarre générale, après avoir ramené un jeune homme de 25 ans, en mauvais état, victime d’un accident de scooter sous le pont de Beausoleil à Baie-Mahault. Quand, ils arrivent, la salle d’attente des urgences est vide. En réalité, la scène du théâtre est dressée au service de réanimation. Il y règne le plus grand des chaos. Les gendarmes font face à une vingtaine d’individus qui les invectivent et se montrent extrêmement menaçants. Apeuré par l’ampleur de la rixe, le personnel de l’hôpital est retranché dans une salle au fond du service. Sans le savoir, les policiers viennent de mettre le pied dans un imbroglio incroyable. Flashback. La méprise  » Plus tôt dans la soirée, probablement après minuit, un jeune homme fait un accident de scooter sous le pont de Beausoleil à Baie-Mahault, juste avant une patrouille des gendarmes. Sur les lieux, les gendarmes trouvent donc la victime dans un état grave et appellent le SAMU. Mais l’accident a attiré des badauds, et les conclusions hâtives fusent. Pour eux, il s’agit là de la fin tragique d’une course-poursuite entre un jeune voyou et les gendarmes. On dégaine les téléphones, la nouvelle se répand à grande vitesse. À son arrivée, le SAMU constate la gravité de l’état du jeune homme et déclare son pronostic vital engagé avant de le sécuriser. Mais pendant leur examen, le ton monte entre les badauds – parmi lesquels on compte déjà plusieurs amis de l’accidenté – et les gendarmes. L’annonce de l’état du jeune homme met le feu aux poudres. Les gendarmes sont menacés, insultés, pris à partie. Tant bien que mal, ils sécurisent l’ambulance et l’escortent jusqu’au CHU  » l’un des fonctionnaires de police dépêché au CHU. Mais l’histoire est bien loin d’être finie. Ce n’est que le premier acte. Loin de se décourager, plusieurs des amis de la victime grimpent à scooter et suivent l’ambulance. Tous arrivent à l’hôpital. En même temps. Comme l’aurait formulé Corneille, [ils partirent] 500 mais par un prompt renfort [arrivèrent] 3 000… aux urgences ! Ceux qui avaient suivi l’ambulance ont rameuté tous leurs amis, ont fait passer l’information.  » Wesh, bâtiment Arcelor  » disent-ils simplement après un appel téléphonique. Et la victime de l’accident est à peine prise en charge par les médecins urgentistes que le chaos s’installe.  » Nous étions confrontés à près d’une trentaine d’individus énervés, hostiles. Ils s’en prenaient aux médecins, invectivaient les gendarmes, les accusaient de l’accident, les poussaient. Conformément à la procédure, nous mettons en place une triangulation en amorçant la discussion, mais il était quasiment impossible d’obtenir le calme. Et ce n’était rien par rapport à ce qui allait arriver.  »

Le GIPN en renfort

 » Quand les médecins ont annoncé la mort du jeune, personnellement, nous n’avions jamais vu ça. Les hostilités ont repris de plus belle. Tout le travail de calme que nous avions mené a été réduit à néant. Les femmes présentes, parentes de la victime, s’en sont prises au mobilier. Pleuraient en se roulant par terre. Les amis du défunt ont recommencé à agresser les gendarmes et les médecins.  » Sé fòt a zòt si y mò  » hurlent-ils. En bas du morne, hors des urgences, un groupe d’amis du défunt s’est formé, mais empêché par nos voitures, ils ne sont pas montés, l’annonce de la mort du garçon les a aussi énervés. Voyant que nous ne réussirions pas à obtenir une paix durable, nous avons demandé le renfort du GIPN. Il faut savoir qu’on parle là de jeunes potentiellement armés. Il n’est pas rare qu’ils se contentent de simplement cacher leur arme dans un fourré à côté de leur scooter. Chaque fois que nous calmions un foyer, un autre reprenait. C’est comme si ces jeunes avaient été formés pour cela, c’est mécanique… et épuisant. L’arrivée du GIPN a relativement calmé les choses. Mais il nous aura fallu plusieurs heures pour en arriver là. Nous avons quitté le CHU à 5 h 40.  » Près de trois heures de rixe. Mais pas d’interpellations. Conformément à l’article 803 de la procédure, seul un jeune homme aura été menotté, les agents estimant qu’il était un danger pour lui et pour les autres. Une fois relâché, il aura tout de même la délicatesse de casser le pare-brise d’une voiture de police avec une pierre. Du point de vue logistique, l’événement aura déstabilisé tout le fonctionnement des urgences. Les malades qui ont été pris en charge avant l’arrivée de l’accidenté, feu Dimitri Bagacien, ont pu à peine être correctement pris en charge. Une fois les policiers partis, un cortège d’ambulances a envahi les urgences. Toutes celles qui étaient arrivées pendant les échauffourées ont été bloquées en bas du morne, afin d’éviter qu’elles ne soient suivies par les jeunes surexcités tenus en respect par les forces de l’ordre.

L’invasion des urgences par les bandes de jeunes est devenue monnaie courante

Dès lors que le membre d » une bande  » est blessé au cours d’une rixe ou d’un règlement de compte, ses amis l’accompagnent aux urgences. Ils veulent qu’on prodigue des soins au blessé, mais ils veulent surtout repartir avec lui avant l’arrivée des forces de l’ordre. Il n’est donc pas rare que les médecins, les infirmières soient invectivés, voire bousculés. Souvent ils pénètrent avec leurs scooters, dans la salle d’attente. Quand on ne les laisse pas entrer dans les salles de soins leurs scooters leur servent de béliers. Un membre du personnel explique :  » une fois un des jeunes hommes a carrément pris l’ascenseur avec son scooter. Il voulait récupérer son ami blessé qui était soigné dans un des services de l’hôpital avant qu’il ne soit interrogé ou interpellé par les policiers qu’il avait vu arriver « . Ils sont armés, agressifs et ne respectent rien. C’est aussi cela le quotidien des personnels qui travaillent aux urgences. Un détail en plein cœur de ces deux nuits mouvementées explique un soignant : lorsque la cohue, les violences, les vociférations battaient leur plein la salle des urgences s’est vidée. Plus un chat. Plus personne n’a plus eu une quelconque maladie urgente à soigner.

Illustration

Deux morts. Dans des conditions sordides. Ici, les circonstances précédant le drame sont encore nébuleuses. Une instruction en cours devrait les préciser.  » Nous sommes appelés sur le cas d’un garçon blessé par arme blanche. Quand nous arrivons sur les lieux à 23 h 15, nous trouvons un attroupement autour du corps de la victime qui gît dans une quantité de sang considérable, sur le passage protégé en face de l’enseigne Big Market. Les jeunes du quartier qui le connaissent nous décrivent la scène dans un chahut indescriptible. Nous nous chargeons de recueillir les témoignages et demandons une description de l’agresseur qui se fait très floue. À ce moment, nous ne savions pas qu’ils omettaient un détail majeur. Les pompiers avaient déjà été contactés et quand ils finissent par arriver sur les lieux ils prennent tout de suite en charge le jeune homme pendant que nous sécurisions en tentant d’apaiser les esprits. Le calme était déjà presque revenu, quand, quelqu’un nous indique, discrètement, qu’il y a un corps laissé à l’abandon dans un coin. Nous nous y rendons. L’agresseur avait été passé à tabac par les amis de sa victime et est retrouvé recroquevillé. Nous rameutons les pompiers près du corps. Quand, les amis de la victime voient que les pompiers vont prendre en charge l’agresseur, ils se mettent dans un état d’excitation incroyable. Ils nous insultent, nous bousculent, tentent d’empêcher les pompiers de soigner le jeune homme. Arrive le commandement de la police qui est l’autorité sur place. Difficilement, les pompiers parviennent tout de même à ramener un brancard et à poser le corps du garçon dessus. Mais, un des excités de la bande approche, bouscule les pompiers et met un violent coup de pied dans le brancard. Déstabilisé, le brancard tombe et le garçon chute la tête la première. Rapidement, nous écartons le perturbateur qui a pris la fuite. Tout aussi vite, les pompiers tentent de sauver le garçon en le repositionnant sur le brancard et en prenant garde à sa tête. Nous les sécurisons et ils parviennent à partir  » raconte l’un des fonctionnaires de police présent cette nuit-là.

Le choix du commissariat de police

Les pompiers constatent que des jeunes à scooter suivent l’ambulance, échauffés par les événements qui avaient troublé le CHU la veille, et craignant que les amis du jeune homme ne veuillent finir le travail amorcé dans la rue, à l’hôpital, ils demandent l’autorisation d’accéder au commissariat Lafond afin de dissuader d’éventuels assaillants et prodiguer des soins en toute sécurité la victime. Mais leurs efforts seront vains. Il décédera des suites de ses blessures dans l’ambulance stationnée dans la cour du commissariat. Pendant ce temps à Raspail, les policiers restés sur place aux côtés de la première victime – dont le décès avait déjà été constaté par les pompiers – continuent leur travail de préservation des tracés indices et de constatation des faits, tout en calmant les esprits. Ils attendent le médecin légiste et le substitut du procureur. Mais l’air est chargé d’électricité.  » Malgré la présence de la police les jeunes restaient surexcités. Nous avions déjà été alertés par le fait que, comme hasard, à notre venue, toutes les lumières du quartier avaient été allumées. Cela voulait dire que les individus pouvaient possiblement contrôler l’éclairage de la zone, et nous plonger dans le noir à l’envie, ce qui nous mettrait en difficulté. Nous avons dû faire preuve de beaucoup de sang-froid.  » Comme dit, comme fait. À peine partis, les policiers ont dû revenir sur leurs pas. Car des individus ont bloqué tout le quartier à l’aide de poubelles et mis à sac la supérette Big Market. Entièrement.

Rue Raspail

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